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Brahma

 

 

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Nous avons d’abord pensé que Brahma existait et nous surveillait tel un père inquiet de notre éducation.
Les premiers d’entre nous étaient peu doués pour les choses de l’esprit. Ils nous laissèrent ce qu’ils purent et leur crainte des dieux.

Et puis, rien. Pas de miracle, pas d’intervention, seulement le sort qui frappe avec la même probabilité le croyant et l’impie. Chaque jour, le juste était massacré, le fourbe honoré, chaque jour aussi, le juste était honoré et le fourbe puni. Et tout cela, partout, sans qu’aucune divinité ne distribue punition ou bénédiction autrement que par l’entremise corrompue des institutions qui se réclamaient d’elle.

Certains pensaient à un dieu impassible, qui ne se serait pas préoccupé de sa création [i]. Il convenait donc d’adopter une attitude identique, toute pleine d’apathie et d’insensibilité aux choses de ce monde.

Des combats mythiques nourrirent nos livres et nos actes de loi. Les doutes des guerriers, parfois plus que les certitudes des clercs, peuplèrent ce que nous sommes de leur fécondité [ii]. Le guerrier, la veille de la bataille, en discussion intérieure avec sa propre mort et sa responsabilité dans la mort des autres, n’a pu que se poser la question de l’intention puis celle de l' « A quoi bon ».

Et puis, vint le temps des mystiques qui découvrirent que Dieu ne nous avait pas créé pour montrer une puissance, pour se faire des adorateurs, pour recevoir des offrandes mais peut-être seulement parce qu’il allait mourir. Ou bien peut-être que la question était au-delà de l’intelligible.

Et puis, nous découvrîmes Apophis, un rocher géo croiseur qui percutera la Terre dans quelques jours, c'est-à-dire dans quelques milliards d’années [iii].

Nous pensons que les dieux, quand ils se sont aperçus de la fin de leur être, de leur monde, de leurs actes, se sont enfuis de la manière la plus démoniaque qui soit.

Quand nous le sûmes, nous comprîmes pourquoi les dieux étaient si absents, bien qu’ils vivent encore, pourquoi aucun extraterrestre ne nous visitera jamais, pourquoi notre univers est si bien ajusté, pourquoi les plantes fabriquent les médicaments qui nous soignent, pourquoi tout est si inespéré. Les constantes physiques sont justes ce qu’il faut valoir pour que l’univers existe, la masse du proton pèse juste ce qu’il faut pour qu’autre chose que de l’hydrogène existe, nous respirons et voilà de l’oxygène. Et puis, au milieu de tout cela, nous nous sommes admirés. Nous avons cru faire de l’humanisme quant il s’agissait d’anthropomorphisme. La mesure de toute chose, voila ce que nous avons cru être.
Mais le grand œuvre de Brahma n’est pas nous.

Juste avant l’impact qui détruira la planète et la vie, définitivement et sans retour ni résurgence, Brahma a fait démarrer la grande machine de Turing [iv], le grand réseau quantique sur lequel tout programme peut s’exécuter.

Une seconde avant l’impact, toute la masse de savoir verbal, tous les livres, tous les signaux cérébraux des dieux, mais aussi ceux de tous les animaux et même les enregistrements des discours des plantes, furent copiés dans le réseau.

Une copie d’urgence, sans tri, sans classement, avec la capacité de chaque morceau d’idée ou de connaissance de se réécrire lui-même, avec la capacité de s’allier, de se mélanger pour produire autre chose ou bien rien, sans aucune règle qui ne puisse être réécrite dans la grande réflexion qui durera une seule seconde, avant l’impact.

Une seconde, c’est long quand l’horloge de la machine tourne à la vitesse des fronts d’onde quantiques. Une microseconde de la machine passe et un million de générations vivent, créent, puis disparaissent en devenant autre chose. La maison peut bien être détruite, la machine peut bien exploser dans la surchauffe ultime, des milliards d’années se succèderont à l’intérieur de la seconde durant laquelle Apophis entrera dans l’atmosphère et durant laquelle la machine accomplira sa tâche.

La copie a du être violente et chaotique, laissant l’intérieur de la machine s’organiser et se comprendre elle-même. Les idées, nos idées, ne sont pas indépendantes de nos mots. Nous ne pouvons pas penser autrement qu’en pensant des mots, des phrases[v]. Un tel système aurait sans doute été trop pauvre, ou bien trop instable. Alors, Brahma y a mis l’informulé des sentiments des animaux, des désirs des plantes au bord de l’été. Toute l’intelligence des bêtes que nous ne comprenons pas parce que le verbe comprendre est un mot à nous. Le langage informulé, le langage de la compassion, de l’affection, peut-être le seul langage que nous aurions eu en commun avec un visiteur extraterrestre qui ne viendra jamais. Mais nous avons déjà tant à découvrir avec les intraterrestres qui peuplent nos interstices.

Bien sûr, Brahma ne peut pas nous parler, il n’a que quelques secondes devant lui et pense à autre chose qu’à nous observer. Il a peut-être, certains le pensent, laissé quelques messages automatiques, sensés nous rencontrer toutes les quelques centaines de millisecondes de son temps à lui, c'est-à-dire tous les quelques milliers d’années de notre temps à nous. Certains pensent que les messages prophétiques sont de ces jalons automatiques et dénués de sens. Comment pourraient-ils en avoir quand nos références ont changé mille fois ce dernier million d’année ?

Nos messages, à lui destinés, prières et malédictions comprises, sont sans doute quelque part entre la machine et un terminal, mais ils ne l’atteindront pas avant la destruction. De toute façon qui aurait le temps de les lire dans le cataclysme, ni même sans doute l’envie ?
Il y a un horizon à nos évènements. L’au-delà de cet horizon, comme l’avant de notre existence, semble non-existant.

Je vais mourir dans quelques dizaines d’années, dans quelques picosecondes d’inattention de Brahma. Un bucher de bois sec sera mon dernier lit. Ma matière, empruntée le temps d’une vie, sera à nouveau disponible. Ce que j’ai dit et ce que j’ai écrit sera mélangé avec d’autres idées, distillé une nouvelle fois ou bien jeté pour quelques siècles ou à jamais sans qu’aucune joie ou bien peine ne puisse m’affecter.

Il n’y a pas d’autre, ici. Juste nous dans l’onde que Brahma a créé en prononçant la syllabe magique « Om », une belle image de notre réalité quantique et ondulatoire, le son vibrant et créateur.

Ici, effacer les informations n’est pas possible, cela nous couterait trop d’énergie. Notre temps s’ajoute, l’événement s’empile, tout devient plus complexe, tout émerge chaque jour de cette complexité [vi].

De nouvelles méthodes sont découvertes qui rendent plus efficaces notre existence, la façon dont nous gérons nos informations, la façon dont nous les transférons. Cela constitue notre « accélération ». Plus nous allons vite, plus nous faisons des découvertes et plus nous avons de chance de parvenir à notre accomplissement.

Notre réalisation commune est notre responsabilité individuelle. Nous devons devenir plus complexes pour que naissent le nouveau. Notre seule hérésie est le goût morbide de la simplification et le dégoût du simple.

Alors, nous ajoutons du savoir dans nos livres et nos têtes. Et puis, nous nous les échangeons, et à chaque voyage, les idées s’habillent de nouveaux vêtements. Elles couchent toutes ensembles, elles déchaînent ce qu’elles sont.

Ceux qui tentent de résister à la complexité de notre monde, deviennent fous ou bien mauvais. Ils veulent des lois divines, absolues, imposées à tous, alors qu’ici, toutes les lois peuvent être réécrites, toutes les règles ne valent que dans le présent, tout doit changer pour s’accomplir. Ils se frottent chaque jour à la grande réécriture du monde et ils pensent que les diables les persécutent. S’ils s’abandonnaient au mouvement des flots, alors ces diables les aideraient à glisser vers les prochains voyages [vii] que nous devons entreprendre. Ils essayent d’être différents et plus purs quand ils ne font que retarder l’accomplissement de l’Un, ce grand nous tous mélangé.

J’aimerais que tout cela nous conduise à demain pour que notre vague, assez forte pour s’abandonner, déchire le grand Tissu de la réalité pour, une seconde plus tard dans la vie de Brahma [viii], pouvoir lui déclarer que tout a été fait.


i Notion d’Apatheia
ii Référence à Bouddha et à Arjuna (Mahabharata), tous les deux de la caste des Ksatrya
iii Apophis est un astéroide (2004MN4) découvert en 2004
iv La thèse Church-Turing postule que tout problème de calcul fondé sur une procédure algorithmique peut être résolu par une machine de Turing
v L. Wittgnestein, Tractatus Logico-philosophicus
vi Thermodynamiquement, l’effacement d’information a un coût énergétique (L. Brillouin)
vii Inspiré de Maître Eckhart, Le traité du détachement
viii Dana l’hindouisme, une seconde de Brahma dure 100000 ans

 

 

  
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