« Vous venez d'entrer… dans la 4ème dimension »

Il y a des soirées comme celles-ci où l'on se demande ce qu'on fait sur cette terre. C'est du moins ce que je me disais cette nuit où la page blanche montrait fièrement sa brillance éclatante, comme pour me dire : « Héhé ! Cette fois-ci, tu ne saliras pas ma virginité avec la noirceur de tes mots contant une histoire insipide. »

L'heure avançant, je compensais cette clarté irritante par l'obscurité bienfaisante de mes yeux clos.

Soudain, la sonnerie de mon réveil déclencha une réaction chimique à l'intérieur de mon cerveau dans laquelle les neurones actifs chassèrent les inactifs.

Je m'empressais de l'éteindre. Il m'avait cependant semblé ne pas me souvenir de l'avoir allumé avant mon endormissement, tout comme je ne me souvenais pas d'avoir mis hors service mon ordinateur. Mais qu'importe ! Une nouvelle journée venait de commencer et je devais vaquer à ma préoccupation première : Prendre mon petit-déjeuner.

Vision de brouillard, yeux mi-clos supportant difficilement la lumière, je « fonctionnais au radar » comme on dit.

Comme d'habitude, j'ouvrais le placard et cherchais mes deux barres de céréales soufflés et compactés. En lieu et place de mon sésame, se trouvait une boîte de chocolat chaud en poudre. Mon cerveau n'acceptant pas cette information saugrenue, mes yeux continuaient de chercher mes barres de céréales.

Je m'étais finalement rendu à l'évidence et refermais le placard. Puis, finalement, je me suis mis à penser qu'un bon chocolat chaud ne me ferait pas de mal. Je fis bouillir de l'eau dans une casserole, sortis un bol, la boîte de poudre à côté, une grande cuillère et attendis…

C'est alors que certaines questions commençaient à s'imposer à mon être. Il me semblait avoir en réserve des barres de céréales. Et depuis quand ai-je acheté du chocolat chaud ? La dernière fois que j'en avais bu, c'était durant ma tendre enfance.

Je somnolais sur mes questionnements lorsque le contact de l'eau bouillonnante et de la paroi froide du poêle me ramena à terre.

Je m'empressai d'éteindre le gaz. Une fois le bouillonnement terminé, je retirai l'ustensile et versa le contenu sur la poudre sucrée au fond du bol. La noirceur s'éclaircit. Je tournais machinalement la cuiller et observais la fenêtre extérieur. Le temps semblait clair, la journée clémente.

Puis, un claquement sec et bruyant se fit entendre en même temps qu'un éclair fugitif apparut. Très rapidement, il me semblait entendre quelque chose rouler jusqu'à un meuble contre lequel il s'était heurté.

Je regardais dans tous les coins et vis une pomme de couleur rouge. Je pense qu'il s'agissait d'une Red Delicious. Je la ramassai. Elle était tiède, ni trop mûre, ni trop verte, à point.

Je la croquai. Elle était délicieuse et fraîche à l'intérieur. La chose la plus extraordinaire était que je n'avais acheté aucune pomme, qu'aucun pommier ne se trouvait à l'horizon et, surtout, il me semblait qu'elle avait traversé l'épaisseur du mur. Après vérification, je ne vis aucun trou, aucune trace qui laissait penser qu'une pomme avait séjourné dans les parages.

Après m'être rassis, je repensais à ce claquement. Il était bref, de tonalité aigüe, ressemblait au claquement que peuvent fait deux mains se rejoignant énergiquement. La vision panoramique m'avait permis de distinguer l'éclair sur le côté droit, côté du mur. Plus précisément, il me semblait que la lumière était apparue sur la surface du mur. Je n'avais pas bu, ni fumé quoi que ce soit, suffisamment éveillé maintenant que je tenais cette pomme dans ma main et je n'ai jamais fait d'hallucination jusqu'ici.

Puis, je m'aperçus que mon bol commençait à se refroidir, je le bu. C'est alors qu'une autre bizarrerie me parvint non plus par l'ouïe, la vue ou le toucher, mais par le goût. Le chocolat changeait de saveur. Du sucré il passait à l'amer. Je recrachais le liquide infecte et bu un verre d'eau.

En regardant mon bol, je vis que le marron du liquide était passé au vert foncé. Un vent frais vint visiter ma nuque, il y avait un mur et le placard derrière moi sans ouverture. J'observais à nouveau le bol qui changea lui aussi de couleur en même temps que le chocolat devenait peu à peu jaune clair. L'amer fut remplacé par le salé puis l'acide. Saisi par la sensation, je versai une larme.

Après la couleur, mon bol changea de forme pour s'allonger, changer de matière et devenir une bouteille d'eau en plastique. De l'eau se remplissait du bas pour se remplir au 2/3.

Je la saisis et constatai qu'elle était fraîche. Quelques secondes plus tard, elle se réchauffa jusqu'à bouillir. La douleur me fit lâcher ma prise. Une couche de glace recouvrait désormais la bouteille. La température semblait jouer au yoyo tandis que ma chaise se déroba, m'amenant à terre.

Les règles de l'univers ne semblaient plus correspondre à ce que j'avais connu jusqu'alors.

Je pris la tête dans mes mains tout en fermant les yeux comme ci j'étais pris d'une soudaine migraine, refusant de voir, sentir, goûter, toucher et entendre l'environnement se disloquer.

Puis, dans un ultime effort pour chasser ce chaos, je retirai énergiquement mes mains et ouvrit les yeux. Je retrouvai ma cuisine selon les règles connues. La situation était redevenue normale. La chaise était bien à sa place, le bol avait repris sa forme, le décor était resté tel que je le voyais depuis toujours. Je me levais et me rassis à ma place de déjeuneur. Le liquide marron était maintenant froid, imbuvable.

Je commençais à me poser des questions sur ma santé mentale lorsque le décor se mit à fondre sur lui-même, me plongeant dans un décor noir, sans bruit, sans air. Je faillis étouffer en cherchant en vain de l'oxygène lorsqu'un nouveau décor s'érigea aussi rapidement que la cuisine disparut.

Je me retrouvais dans une forêt touffue. Je notais chaque détail dans mon esprit en ébullition devant tant de nouvelles informations, tant de bizarreries. Je crus entendre le grognement d'un animal féroce et pris mes jambes à mon cou.

Pendant ma course, j'oubliai l'état insolite de la situation et cherchai à sortir de cette forêt. Il me fallut ce qu'il me semblait avoir duré une bonne heure pour me retrouver dans une prairie comme l'on pouvait en voir en Mongolie et restais interdit venant la couleur violette du ciel teinté de nuages bleus clairs.

Soudain, une météorite zébra le ciel, laissant une traînée jaune. Une observation plus poussée me permit de voir qu'il s'agissait plutôt d'un avion privé. Puis, il me semblait que cet avion perdait de l'altitude, ce qui me permit de le voir en détail. A ma grande surprise, il ne s'agissait ni d'un avion, ni même d'un engin volant, mais… d'une statue. Une statue aux cheveux d'or.

Elle descendit encore et je crus voir qu'il s'agissait d'un… être humain. Je dus attendre une nouvelle descente pour enfin distinguer qu'il s'agissait… d'une femme. Il s'agissait donc d'une femme, blonde, au teint bronzé qui survolait les airs et amorçait l'atterrissage.

Je courus à sa poursuite, mais ne pus faire que trois pas avant de glisser sur je ne sais quoi, basculer et toucher violemment le sol. Le choc reçut à l'arrière de ma tête me fit perdre connaissance.

Noir. Puis Blanc. Un grand éclat de lumière blanche qui éblouit mes yeux réveillés.

En me redressant de mon siège, je sentis une légère douleur sur ma nuque. Les cervicales ont dû prendre un coup.

Commençant à me réveiller, je repensais à tout ce que je venais de vivre. Je ne sais s'il s'agissait d'un rêve. Mais j'avais retrouvé mon environnement, la maison où j'habite, la chambre où je m'étais assoupi, l'ordinateur que je n'avais pas éteint et la page blanche du traitement de texte toujours en attente. Je vérifiais l'heure. Il était 9h05 et le réveil n'avait pas sonné.

Tout concordait. Je fermai l'ordinateur.

Je repassais mentalement le déroulement des événements précédents. Qui était cette femme dans les airs ? On aurait dit une sirène, d'ailleurs. Une sirène volante… « Mais qu'est-ce que j'ai mangé hier de bizarre pour faire un rêve si étrange ? » me demandé-je.

Mon ventre me sortit de ma torpeur. Je descendis une nouvelle fois les marches de l'escalier. Je suis encore amusé, aujourd'hui, d'avoir eu l'impression de les descendre pour la seconde fois.

La boîte de barres de céréales était au rendez-vous. Je les croquai avec férocité. J'avais étonnement faim pour une matinée. Généralement, mon tube digestif fonctionne au ralenti en première partie de journée.

J'exécutai le rituel, puis débarrassai la table. A peine avais-je passé la porte pour rejoindre les escaliers, qu'un doute m'assaillait. Une vision entr'aperçut en était la cause. Je me retournai et m'approchai.

Une pomme rouge trônait fièrement dans la corbeille à fruits…