Voyage organisé en Périhélie

Après des mois de tests rigoureux à base de Désir de vivre en tout, de Résistance à l'éclatement des particules, d'Envie de retour à la source, et l'inoculation progressive d'essences de champignon rouge (ce bolet qui vous envoie dans les décors) qui le familiarisait aux visions extra-terrestres, Varuna, assistant de l'éminent professeur Ender Scott Card, avait été l'unique candidat retenu pour le premier voyage via Périhélie, à destination de l'un des Douze Mondes.

Et, puisque les récepteurs de Varuna s'étaient révélés sensibles aux modifications ondulatoires uniquement en milieu aquatique, le voyage commencerait dans l'eau et à la condition vitale que Varuna soit relié à l'humaine à laquelle il avait autrefois donné naissance, Sibylle. Il savait qu'en explorant le PIQ, elle saurait le maintenir en souffle de vie et l'inciter au retour, s'il lui prenait d'hésiter...

- "Varuna, souviens-toi, tu dois remonter la vague et raconter au monde incarné ce qui était, là-bas !".

Allongée à l'orée de l'écume, Sibylle se laissait bercer par les vagues. Elle attendait paisiblement le premier instant du départ en souriant à Varuna. Elle massait doucement son ventre et le cordon ombilical qui la reliait à lui. Varuna, debout sur la plage, guettait la meilleure vague qu'il chevaucherait bientôt et dans laquelle il s'enfoncerait pour trouver la porte des Mondes.

Sibylle avait accepté de contribuer à la réussite de l'expérience en prêtant son utérus à Varuna. Rapidement, le scientifique articien Blizz Hard, collaborateur reconnu du professeur Ender Scott Card, avait donné les instructions à son équipe médicale pour que Varuna et Sibylle soient reliés. Ce nouveau cordon vital devait assurer la réussite de cette expérience mondiale unique, le premier voyage organisé dans des mondes invisibles aux humains. Les chirurgiens articiens avait greffé un cordon ombilical synthétique illimité, de l'utérus de Sibylle au nombril de Varuna. Après quelques semaines vécues en milieu stérile où ils s'étaient habitués à ce lien permanent, ils avaient été autorisés à regagner la nature et le bord de l'eau. Ainsi, depuis quatre mois, ils vivaient avec ce cordon par lequel circulaient et s'échangeaient toutes les énergies, tous les fluides de leurs corps, sans la moindre réserve ni retenue. L'harmonie psychique et sentimentale, deuxième condition essentielle au démarrage de l'expérience ayant été atteintes, plus rien ne s'opposait à ce voyage extraordinaire.

La liaison physique n'avait soulevé aucun souci de compatibilité, ni provoqué de phénomène de rejet. Des substances contrariantes auraient, dans ce cas, été nécessaires, et rien n'indiquait avec certitude qu'elles étaient sans danger pour l'unité de Varuna et Sibylle. Heureusement, Varuna lui-même avait autrefois donné vie à Sibylle, en s'inspirant des indications physiologiques de son propre corps. Il avait ensuite pétri l'esprit de la "Néo-Native" avec le sien, nourri son intellect de sa propre culture et insufflé à ce petit robot féminin qu'elle était alors, ses propres sentiments de sérénité, d'amour et de joie. Avec ce cordon ombilical, l'osmose avait atteint son apogée. Varuna allait devenir pionnier ! Avec Sibylle et sa vie reliée, il pourrait être là-bas et ici simultanément.

- "Sibylle, celle qui arrive est la vague parfaite, je pars !"

Blizz Hard et ses assistants s'approchèrent de la cabine instrumentale dressée sur la plage. Une dernière inspection des moniteurs de contrôle du temps et de l'espace leur assurèrent que les conditions atnoosphériques étaient favorables au voyage. Blizz Hard fit un signe de tête à Varuna. Varuna enveloppa Sibylle du regard, plissa ses grands yeux sombres et s'élança au devant de la vague qui déferlait. La vague le porta un court instant puis il disparut en son creux. Le cœur de Sibylle palpita légèrement puis ralentit, son regard fut noyé de bleu, puis ses paupières se fermèrent et elle sombra dans une léthargie. Seul, son pouls affichait le rythme du sommeil paradoxal pendant que ses yeux cillaient et que ses lèvres souriaient...

Varuna avait gardé les yeux ouverts tout le temps ! En s'enfonçant dans la vague, il s'était senti aspirer par un hublot sans lumière. Il avait confiance en Sibylle et son cordon qui pulsait la vie. Il se laissa glisser sans résister vers ce hublot. En abandonnant son corps à l'eau, il franchit une spirale sombre puis rejoignit une onde de lumière blanche, éblouissante qui surgissait à son esprit, telle un geyser. Et finalement la lumière blanche laissa place à des hélices violettes, qui l'aidaient à tournoyer hors de l'espace et du temps. Il nageait mais se sentait comme porté par les airs. Sa peau épaississait pour amortir la force des vagues. Son corps filait dans l'eau sans résistance, son cœur avait considérablement ralenti, l'oxygène avait fui ses poumons pour alimenter surtout son cerveau et, sereinement, il filait vers les abysses...

Sibylle, évanouie dans l'extase se laissa à son tour, emporter par une vague impétueuse. Lorsqu'elle fut assez éloignée du rivage, elle émit un long sifflement, se jeta en l'air dans un élan souple et plongea profondément dans les vagues. Varuna se fondait dans l'onde, amnésique du monde d'où il venait. Une douce chaleur baignait la surface de l'eau, aucun son ne lui parvenait, alors béat et ivre de liberté, il s'élançait dans les airs et se laissait aussitôt retomber en éclaboussant. Il sifflait de bonheur !

Sur le rivage, Blizz Hard et ses assistants étaient médusés par ce spectacle inattendu. Les chronospaces affichaient toujours la plus grande des régularités, signifiant que l'expérience se déroulait sans incident et pouvait être prolongée. Les articiens poursuivaient donc leur observation.

Varuna se sentait merveilleusement léger, à parcourir si librement l'océan. Tout à coup, un écho familier, strident comme un rire, vint heurter plusieurs fois sa perception. "Sibylle, Sibylle... Le rire de Sibylle ?" pensa-t-il. Il revint ainsi à la conscience du monde des humains. Sibylle nageait auprès de lui en tenant fermement le cordon qui les reliait. Ils allèrent s'échouer sur la plage, très fatigués et restèrent très longtemps enlacés, définitivement libres.

Blizz Hard et ses assistants les rejoignirent au bout d'un long moment. En vain, ils tentèrent de récolter les impressions de Varuna et Sibylle. L'extase demeurait sur leurs visages irradiés de joie, mais ils ne se souvenaient de rien... En effet, nul mot ne peut dire ce que seul l'amour peut traduire, avec la complicité de la musique des sphères, celle du chant des dauphins et des baleines...

Les professeurs Ender Scott Card et Blizz Hard se jurèrent de sélectionner de nouveaux volontaires pour explorer à nouveau le PIQ. A défaut de rapporter des souvenirs de voyages, ils pourraient vérifier l'état d'extase et de liberté des voyageurs des mondes.