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Le rire des étoiles

 

 

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2169: Alpha Orionis avait quitté la Terre depuis un siècle déjà, après avoir fait une courte étape sur sa Lune. Avant son départ, elle avait donné rendez-vous à Beta Orionis, sur la constellation d’ Orion où elle devait finir sa course, le quatrième jour de la quatrième saison au croisement 4. 4. Le moment tant attendu était arrivé, elle avait ajusté son géo-localisateur spacio-temporel sur ces coordonnées, s’ était endormie pour le voyage. Sa sphère de transport venait d’ émettre le signal musical d’ arrivée.

Alpha Orionis se réveilla et s’ extirpa de la sphère, balaya les alentours d’ un regard intrigué. Jamais elle n’ avait exploré ce coin de l’ univers. Elle se trouvait dans une immense plaine parsemée de dunes poudrées scintillantes et recouvertes d’ herbes souples et longues qui s’ enroulaient de diverses façons pour former des nids. Seule l’ étoile-mère pouvait procréer dans cet endroit, et toutes les créatures auxquelles elle donnait naissance pouvaient nicher là, si elles le désiraient. Elles y menaient une vie idyllique, libre et paisible. Ici, elles pouvaient se reposer, se détendre, jouer, dormir, faire l’ amour, rêver, ou se concentrer sur la succion des ondes nutritives.

Alpha Orionis choisit un nid ovale inhabité et s’ allongea pour scruter le ciel et guetter l’ arrivée de Beta Orionis. Rapidement, elle aperçut un vaisseau sombre qui décélérait par paliers tout en se rapprochant d’ elle. Lorsqu’ il se posa tout près d’ elle, elle distingua un tétragone noir d’ une brillance éblouissante, façonné de trois étages de tailles décroissantes, dont le dernier était un dôme orné de hublots émettant des lueurs orangées chatoyantes. Piquée de curiosité et fascinée par cette lumière qu’ elle reconnaissait, Alpha Orionis s’ extirpa du nid et fit le tour du vaisseau, espérant que Beta Orionis viendrait très vite à sa rencontre. Elle recula, avança, contourna à nouveau ce bidule inconnu. A première vue, il était étrangement hermétique, et Beta Orionis ne se manifestait pas. Elle inspecta plusieurs fois encore le vaisseau, frôla du bout des doigt chaque paroi froide et lisse, revint sur ses pas et patienta un long moment. D’ un seul coup, elle fût happée par un mystérieux vertige, et une spirale aux couleurs du spectre terrestre inonda son cerveau. La fente synaptique de son crâne s’ ouvrit spontanément pour la première fois, alors que seuls les extracteurs d’ Orion pouvaient réaliser cette manipulation sur les créatures ayant atteint la maturité spirituelle. Elle devina qu’ un petit objet était glissé dans l’ ouverture de son crâne. Le tourbillon des couleurs dans sa tête, les lumières irisées, les vibrations intenses des fréquences sonores que le vaisseau projetait dans l’ atmosphère la firent vaciller. Elle se retint de tomber, et appuya sa paume droite avec force sur la paroi noire du vaisseau.

Alpha Orionis sentit sa main s’ enfoncer doucement, elle plongea le bras, puis la tête et le torse. Elle avança la jambe gauche, la droite. Maintenant, elle se trouvait toute entière de l’ autre côté, elle était enfin à l’ intérieur du vaisseau. Devant elle, les ténèbres étaient parfaites et un impressionnant labyrinthe de cristal noir serpentait à l’ infini. Dans son cerveau désormais entrouvert, persistait une faible lueur orangée qui la rassurait. Elle voulut vérifier qu’ elle pouvait encore ressortir librement et pivota comme une toupie, appuya fermement la paume de sa main droite pour fendre la paroi. Impossible ! Le mur était froid, lisse, restait sans réponse. Elle pivota à nouveau. Le labyrinthe la terrorisait mais elle n’ avait que le choix d’ y entrer et d’ avancer. Pour le rencontrer, lui, Beta Orionis. Alpha Orionis s’ efforçait de se laisser guider par le flux orangé qui éclairait son cerveau, car son holorégulateur était bien trop centré entre les seins pour l’ aider à s’ orienter. Il ne tendait sa poitrine avec certitude vers aucune direction précise. Il en était ainsi de toutes les créatures nées après la Révolution d’ Orion. Pilotée par la faible lueur dans son cerveau, elle se hasarda à avancer vers la droite, en frôlant la glace de la paroi noire.

Elle avançait délicatement, le regard rivé sur le dôme étoilé lorsque, grand, léger, aérien, le regard sombre et étincelant, elle le vit, lui, Beta Orionis, qu’ elle retrouvait enfin. Il ne la distinguait pas encore, à moins qu’ il refusait de la voir. Beta Orionis demeurait immobile, lui offrant une démonstration de sa puissance et de ses pouvoirs spectaculaires. Tout le labyrinthe fut soudainement inondé de lumière, les parois du vaisseau devinrent translucides. Alpha Orionis remarqua alors des créatures semblables à elle, postées à plusieurs croisements du labyrinthe. Toutes portaient un regard vide et dénué d’ esprit vers Beta Orionis. Lui, campé sur ses deux jambes légèrement écartées, fixait ces regards l’ un après l’ autre. Il pivotait et basculait à une vitesse vertigineuse ou au contraire très lentement, et un dard noir jailli de sa glabelle, se dirigeait vers l’ une des créatures, qui se transformait aussitôt en statue de boue d’ Orion. Puis vers une autre, et encore les autres. Alpha Orionis, muette et éberluée, observait ce spectacle dantesque des créatures se craquelant, dégoulinant de pellicules poudrées qui finissaient par joncher le sol dans lequel elles disparaissaient. Beta Orionis atomisa ainsi toutes les créatures, sous le regard médusé d’ Alpha Orionis accroupie qui, de sa main gauche, tentait de dissimuler la fente orangée de son crâne, pour ne pas être repérée.

Puis, Beta Orionis se retourna enfin vers elle. Alpha Orionis baissa le regard, rampa en s’ aplatissant sur une courte distance, puis, osant ce qu’ elle n’ avait jamais tenté pendant son initiation acrobatique, bondit en l’ air en faisant des boucles sur elle-même. Beta Orionis la fixait du regard et semblait éprouver des difficultés à pointer son dard sur elle. Lorsqu’ Alpha Orionis s’ arrêta pour reprendre des forces et régler son activateur spacio-temporel, Beta Orionis pointa son dard noir sur le bras gauche d’ Alpha Orionis, provoquant une première craquelure. Aïe ! Une douleur vive irradia son bras, et très vite, elle reprit sa course en looping. La blessure se cicatrisa aussitôt, ce qui la soulagea. On lui avait toujours dit qu’ elle avait une forte capacité de régénération corporelle, c’ était donc vrai. Consciente qu’ elle ne pouvait plus se reposer, Alpha Orionis avançait en bondissant le long des parois, en bifurquant toujours à droite. Elle se rendit enfin compte que ce chemin était sans issue, qu’ elle tournait en rond. Elle décida alors de tester le prochain virage à gauche, cette fois-ci. Elle bondit quatre fois avec quatre boucles et se retrouva au c½ur d’ une pièce carrée, entre quatre murs lisses de cristal noir. Ce lieu ne présentait aucune vibration, ni onde, ni musique, aucun repère pour se fixer. Alpha Orionis s’ affaissa sur ses pieds, enfonça la tête entre ses bras. Elle s’ apprêtait à être pétrifiée.

C’ est alors que surgit de nulle part, une créature mâle à la peau brune, aux poils noirs et drus, aux yeux étirés, espèce qu’ elle n’ avait plus jamais vue depuis qu’ elle avait exploré la planète archaïque des lézards érudits, si bien qu’ elle pensa avoir affaire à un extra-orionesque. La créature faisant tinter des anneaux dans ses poches, s’ approcha d’ elle en cliquetant et en riant.
- Je suis Ghosn, je sais comment te faire échapper à l’ atomisateur de Beta Orionis, viens, suis moi.
- Je veux bien te suivre, mais où ? Je ne vois que quatre murs froids et lisses, et tu viens de nulle part.
- Suis-moi, te dis-je, il n’ est plus temps de discuter.
Alpha Orionis ne pouvait qu’ obtempérer et suivre ce gros lézard. Elle s’ engagea sur ses pas, en silence. Il avançait en dodelinant, un pied, puis l’ autre, effectuant une drôle de danse qui donnait envie à Alpha Orionis de pouffer de rire. Elle le suivait sans se presser, quand subitement il accéléra, la surprenant au point qu’ elle faillit ne pas accorder sa cadence. Ghosn dansait en spirale, la plus compliquée de toutes les danses, qu’ elle avait à peine commencé à apprendre. Il lui saisit alors la main, elle se laissa entraîner et guider. La spirale s’ élargissait, se resserrait et revenait à un seul point. Finalement, Ghosn déposa Alpha Orionis dans une petite pièce inondée de lumière bleue, située au dernier étage du vaisseau, sous la voûte du dôme.

La musique, l’ air, l’ odeur, tout était bleu. La pièce était dénuée de tous ces objets que l’ on pouvait trouver partout sur la constellation d’ Orion. Au plafond, une spirale de cristal bleu profond captait la lumière des étoiles. Au sol un cristal bleu indigo émettait la lumière captée. Au centre, une couche ronde orangée, entourée d’ une fine pellicule de cristal bleu semblait tapie dans la pénombre. Il émanait de cette salle une inexplicable féérie. Ghosn s’ adressa à Alpha Orionis.
- Prends ces chaussons et cette cape, revêts-toi en et tu échapperas ainsi au dard de Beta Orionis.
Alpha Orionis ne put retenir un gloussement, en découvrant ces objets qui lui semblaient venus d’ un autre monde. Les chaussons étaient orangés avec une spirale bleue en leurs pointes, la cape ressemblait à la mousse de la région Orange d’ Orion, elle n’ avait jamais vu cela encore. Elle retira sa tunique grise et ses sandales noires, conserva le bouffant rose dont elle ne pouvait se passer, et enfila les chaussons et la cape. Avait-elle le choix ? Ghosn disparut alors dans un tourbillon et un son bruyant et malodorant. « Bah tout de même, il aurait pu envoyer d’ autres gaz », pensa-t-elle. Elle se souvint que lorsqu’ elle était sur Terre, certaines créatures émettaient des jets de particules colorées et malodorantes pour faire fuir leurs prédateurs. Peut-être en était-il de même pour Ghosn, craignait-il la colère de Beta Orionis ?

Alpha Orionis ne put résister à l’ envie de tester la couche orangée. Elle s’ allongea toute habillée et ferma un ½il. Elle se reposait toujours ainsi, un seul ½il ouvert, habitude qu’ elle conservait pour fuir, s’ il y avait un danger. Beta Orionis arriva enfin. Alpha Orionis ouvrit les deux yeux et vit un tourbillon bleu nuit percer la voûte du dôme. Toutes les étoiles tremblaient alors que cette spirale s’ approchait d’ elle. Effrayée, terrorisée, pétrifiée, elle s’ attendait au pire, l’ ultime atomisation provoquée par le dard de Beta Orionis. La spirale finit pas cesser de tournoyer, des particules bleues vibraient dans toute la pièce, un son cristallin bourdonnait, l’ heure bleu embaumait. Jamais, Alpha Orionis n’ avait éprouvé quelque chose d’ aussi merveilleux, pas même sur les ondes de son diffuseur personnalisé de sons, fabriqué autrefois pas son oiseau bleu de paradis. Toutefois, elle avait appris à se méfier des pièges à émotions. Avait-elle un autre choix que d’ observer ce qui arrivait ?

Beta Orionis tournoyait devant elle comme un grand oiseau, son corps était d’ un bleu intense, il irradiait. Il partageait ses pulsations avec Alpha Orionis qui sentit la lumière bleue se glisser dans sa fente synaptique. Beta Orionis était bleu et vibrant, mais Alpha Orionis craignait encore de regarder son dard. Elle osa pourtant lever son regard vers lui. Il vibrait dans sa propre lumière, ne bougeait pas, la regardait intensément. Des éclairs bleus emplissaient le dôme, qui donnaient une couleur mélangée étrange à la cape et aux chaussons d’ Alpha Orionis. Elle se rendit compte que Beta Orionis avait perdu son dard, remplacé par une tâche bleu sombre entre les yeux. Beta Orionis contenait l’ esprit d’ Alpha Orionis dans son regard. Aucun des deux ne bougeait, pas de son, pas d’ image. Beta Orionis posa alors la main au sommet de son crâne. Doucement il semblait la glisser dans sa propre fente synaptique. Il secouait la tête de gauche à droite, semblant éprouver une douleur et finalement, il retira un petit boîtier noir. Il chancela un instant, sa lumière faiblit et vacilla, puis reprit toute son intensité. Il s’ avança vers Alpha Orionis, en glissant sur ses pieds, en état de transe, et vint déposer le boîtier noir sur la couche orangée, près de la tête d’ Alpha Orionis. Immobile, Alpha Orionis retenait sa respiration. Beta Orionis caressa les chaussons orangés puis effleura la cape en mousse. Alpha Orionis frissonna d’ une manière étrange et suave, elle se sentit devenir bleue, la lumière bleue l’ envahissait. Beta Orionis avança, hésitant un peu, la regardant comme les créatures regardent les étoiles, se demandant qui elles sont, et finalement, il s’ allongea auprès d’ elle. Le boîtier noir, entre eux deux, se mit à émettre des sons aigus et violents, il se soulevait et retombait brutalement. Finalement, une spirale noire l’ emporta dans un tourbillon dont il ne resta rien. Alpha Orionis et Beta Orionis se retournèrent l’ un vers l’ autre pour faire face à leurs étoiles. Ils se sourirent.

Alpha Orionis osa une blague qu’ elle avait entendue au cours d’ un voyage éclair sur la planète archaïque des lézards érudits. Quand ils se saluaient, les lézards émettaient des sons inconnus d’ elle « Hello Him » « Hello Him » et penchaient amplement leurs têtes en avant, très près du sol en joignant leurs pattes. Cette coutume la faisait rire en rafale, au point qu’ elle ne pouvait plus contrôler son organe vibrant. Beta Orionis, vivant de rire, lançait des éclairs orange et bleu.
 

 

  
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