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Le 1er de l'an 3000

 

 

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Mais qu’est-ce qui m’arrive ?
J’entends de drôles de bruits dans la pièce voisine: des petits pas qui courent et des gloussements.
Ai-je perdu la tête ?

Je ne suis pas réveillée aujourd’hui, c’est vrai que la soirée d’hier a été plutôt longue. Nous avons passé le nouveau millénaire.
Je me sens fébrile dans ma combinaison, j’ai la force d’une anorexique. Je regarde par le hublot, devant moi l’horizon me renvoie un silence et un froid glacial. La luminosité du soleil est toujours aussi faible. Pas un bruit dehors depuis le grand cataclysme ! Un silence de mort comme on dit.

Les autres doivent encore dormir.

Nous formons une petite communauté d’une cinquantaine de résistants rassemblés pour survivre. Chacun apporte son savoir-faire et nous vivons dans une stricte solidarité qui nous lie jusqu’à notre transformation en un pur esprit. Telle est notre croyance depuis la rencontre extraterrestre en 2989. Celle-ci fut brève, mais enrichissante de connaissances. Voyant que nous étions à l’aube de notre extinction, ils ont préféré nous laisser notre libre arbitre jusqu’à notre fin !

Quelques exercices de respirations sont les bienvenus, je manque d’air.

Une réflexion me vient à l’esprit;
Et si aujourd’hui n’était pas l’an 3000, mais l’an 2000. Je me projette dans un imaginaire sans limites, organisé par ce qu’il me reste en mémoire des livres d’histoire de l’époque Conso. Le temps où ils avaient tout.
Ce qu’ils ont laissé de leur technologie non recyclable restera à jamais le témoignage de leurs excès.
Les vestiges de cette civilisation désinvolte sans réelle conscience de ses actes, sont la preuve du délit envers l’humanité.
Je suis ici, au cœur de cette communauté, j’œuvre pour la santé de chacun. Je suis spécialisée dans les plantes congelées. La diversité et le stock sont réduits, mais heureusement la majorité d’entre elles sont des plantes psychotropes qui permettent à chacun de supporter ce quotidien sans avenir.
Contre toute attente, l’ère glacière s’est mise en place en 2050. La civilisation Conso s’est fourvoyée dans ses chiffres. La pollution de l’époque a accéléré les choses d’une façon si exponentielle, que même les plus grands scientifiques n’ont pas eu le temps d’identifier ce phénomène climatique.
Depuis cette première « fin du monde », les hommes se sont rassemblés pour s’unir contre la faim. Notre existence dépend des insectes que nous consommons depuis des centaines de générations. Nous complémentons notre alimentation grâce à l’algue Klamath, un trésor ancien conservé à une température de -30°C et cryobroyé.
La seconde « fin du monde » s’est produite en 2483 avec une explosion solaire sans précédent. Ce nuage électromagnétique a mis fin à toute évolution technologique. Nos anciens par pur égoïsme avaient eu la malheureuse idée de concentrer sous terre une population d’environ 1millions individus, échappant ainsi à ce second Cataclysme.
Sous régulation des naissances, l’homme a continué à se reproduire dans ce milieu. Et nous voilà, nous les résistants de ce que nous appelons la « DG » la Dernière Génération. Nous nous vantons de ne plus faire d’enfants afin de laisser une chance à une nouvelle conception de la vie sur cette Terre. Cette planète si pure et si belle sur les quelques clichés que nous avons conservés.

J’ouvre le hublot pour respirer juste quelques secondes.

La température du sas de protection thermique ne doit pas descendre en dessous des - 45 °C. Notre survie dépend du volcan souterrain. Il fait bouillir l’eau des puits artésiens qui l’entoure, et produit ainsi, assez de vapeur pour nos besoins en énergie. Notre capacité d’adaptation à l’environnement sulfurique s’est développée avec le temps. Nous sommes résistants tels des parasites. Des parasites conscients d’eux-mêmes et qui ne rêvent que d’une chose: Avoir la volonté d’éteindre un jour… l’espèce humaine.
Nous les résistants nous prenons l’entière responsabilité de nos actes et sommes fiers de notre but.
Tel le nouvel ordre mondial de l’époque Conso, c’est le futur qui nous donnera raison. Où pas !

Je m’inquiète, j’entends encore ses petits pas et rires.

Des enfants dans notre monde ?

Impossible nous nous sommes comptés hier encore !

Les hommes et les femmes sont séparés afin de contrer nos pulsions naturelles. La sexualité entre homme et femme est interdite. Les plus jeunes d’entre nous ont une trentaine d’années, pour ma part j’ai 36 ans et cette inquiétante envie de vivre.

Le bruit des petits pas ne cesse de me perturber dans ma réflexion.

Je me décide à aller voir, et en me dirigeant vers ces bruits, je constate que les sarcophages de sommeils sont tous fermés, et que les femmes à l’intérieur dorment paisiblement.
La prise des psychotropes est déontique, chaque individu reçoit une dose journalière. Le contrôle de notre humeur est important, car nous risquons, tous les jours, de basculer dans la folie. Certaines femmes montrent des symptômes dangereux de manque de maternité, mais nous devons résister. Nous nous sommes imposé des cours de philosophie moderne qui tentent d'élever notre esprit pour l’après-vie. Nous travaillons pour le stricte nécessaire, ici les hommes se sont soumis aux femmes car elles leur sont supérieures en organisation. Ils partagent cet atout en matérialisant des idées issues du bon sens et exemptes de tout égocentrisme.

Un échappement de vapeur fait s’ouvrir un sarcophage, c’est Néroli.
Les bruits des petits pas cessent d’un coup.

Néroli est le fruit de l’accouplement de la sélection génétique parfaite. Elle est belle et intelligente. Elle nous apaise en jouant de la flûte et nous aime toutes les unes, comme les autres, ici et pour toujours, avec une tendre passion.

« Bonjour Néroli. Lui dis-je avec douceur.
- As-tu fait de beaux rêves ?
- Bonjour Hélichryse, me répond-elle avec le plus beau des sourires.
- Oui, j’ai vraiment très bien dormi, et je suis prête pour affronter une journée de plus. »

Ici, ce sont nos nuits qui deviennent notre raison de vivre. Nous sommes tenus à d’intenses séances d’entretien physique afin d’accumuler assez de fatigue pour prolonger notre sommeil. Celui-ci devient ainsi une importante séance de méditation. Notre objectif est si difficile à atteindre que plusieurs personnes ont choisi le suicide. Certain y verront du courage pour sauver notre but, d’autre souffrirons de leur absence et les accuserons de nous avoir lâchés. Notre croyance vers l’ultime connaissance nous laisse à penser que le suicide est plutôt négatif. Nous voulons disparaître avec le sentiment d’avoir développé notre esprit positif pour arriver à une beauté immaculée de notre âme. Tel sera, notre rédemption.

« Hélichryse, tu m’as l’air songeuse ce matin ? Me demande Néroli.
- Bah ! En fait, j’entends des bruits inhabituels ? Lui répondis-je. »

Elle tend l’oreille.

Pourvu que ce soit mon imagination qui me joue des tours. C’est surement les psychotropes. Pour plus d’effet, j’avais diminué le taux de dilution de matière active, car le passage au nouveau millénaire se devait d’être oublié. Nous sommes tristes de ne pas voir l’ombre d’un changement climatique à l’horizon. Cela fait une dizaine d’années que certains d’entre nous cultivent l’espoir de voir la nature réapparaître, telles les images dans les livres d’histoire. Je me demande encore pourquoi, car je n’y vois aucun salut. Au contraire, nous risquerions de nous éloigner de notre but. Mais d’autres préfèrent s’occuper l’esprit avec de belles images de notre Terre, cela les aide à tenir leur positivité. Afin d’enrichir nos connaissances, nous nous référençons aux encyclopédies que nous conservons avec précaution, car à l’extérieur;
Plus rien !
La plupart du temps, le paysage est plongé dans un épais brouillard qui persiste des semaines entières, et quand vient une éclaircie, la glace et la neige lissent le relief avec une grande monotonie.

« Non, je n’entends rien d’inhabituel. Pourquoi me poses-tu cette question ? S’inquiète-t-elle.
- As-tu fait de beaux rêves ? Me demande-t-elle à son tour.
- Je dois dire que je suis un peu sonnée, mais ça va ! Lui dis-je afin de la rassurer. »

Mais soudain, je vacille.

Puis d’un coup, une porte claque et les petits pas se mettent à courir dans notre direction. Les rires s’intensifient.

Néroli me regarde, et laisse paraître son étonnement en faisant une grimace traduisant son inquiétude.

Je me souviens du bruit des enfants qui étaient avec nous. Ils rallongeaient l’espérance de vie de notre civilisation. Et bien que cela ralentissait notre but, nous les aimions et prenions un grand plaisir à leur éducation. Nous nous sommes concentrés à les instruire de toutes connaissances qui les amèneraient vers un épanouissement total de leur être. Mais un accident arriva avec les sarcophages de la pédiatrie, et tous moururent d’un manque d’oxygène. La douleur de leur perte fut immense et depuis plus personne ne songea à procréer.

Néroli décide de réveiller les autres.

Réveiller un être en sommeil est autorisé seulement en cas d’incidents majeurs.
Néroli désactive les sarcophages et informe les autres. Toutes accourent;
Camomille, la plus âgée d’entre nous, les regarde et leur sourit. Elle s’adresse à la communauté:

« N’ayez pas peur mes enfants. Nous sommes ici pour aimer et nous élever vers un monde meilleur et sans limites. N’ayez pas peur, elle va bien ! »

La porte s’ouvre et je vois…
« Oohhhh ! Incroyable ! Dis-je. »

Devant moi, de petits anges parfaitement nus. Ils me sourient, je peux presque les toucher, mais ma main glisse dans l’air et traverse celle du plus proche d’entre eux. Son visage se déforme sous mes caresses.
Toutes les femmes sont émues autour de moi, je suis allongée dans le froid. Elles comprennent que je viens de faire le plus merveilleux des rêves. Celui où l’on voit nos enfants devenus des anges. Je reste allongée sur le sol, je souris puis pleure. Je m’assieds et je regarde la porte en espérant y voir apparaître ces petits êtres de lumière.
Depuis, le 1er de l’an 3000, est le jour où j’ai perdu la tête, disent-elles, car je reste là devant la porte à attendre les anges.
 

 

  
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