La Migration des Nouveaux Atlantes

Un scénario catastrophe déguisé en petite histoire que je compte métamorphoser plus tard en roman-paquebot-trilogie avec un autre copain philosophe.

 

Les siècles ont filé depuis que Notre Guide a créé la Tribu. L'Humanité s'était effondrée. N'ayant trouvé l'équilibre nécessaire, le système de ces très anciennes civilisations s'était étouffé de lui-même. Peu à peu, la nature avait repris ses droits, sur les villes, les villages, et sur toute technologie qui fut oubliée. La surface de la Terre était devenue froide et les océans s'étaient recouverts de glace. Même l'homme qui se vantait, depuis des milliers d' années d'être supérieur aux animaux était devenu une bête sauvage et meurtrière.

 

La neige commençait à tomber sur nos têtes et je tremblais sous mes draps. Selon les légendes, tout cela était inévitable, pourtant, Notre Guide, mon ancêtre, a su nous en préserver en créant la Tribu. Je ne pouvais m'empêcher de penser à ce monde que nos aînés avaient choisi de laisser derrière eux en regardant V.I.C., apprendre nos origines aux enfants. Soudain une pierre sur mon chemin me fit trébucher, me sortant par la même occasion de ma rêverie.

- Ca va ? me lança Tom qui marchait derrière moi.

- Oui, je… je pensais à autre chose.

- Ne t'endors pas maintenant, nous sommes presque arrivés à la falaise.

Tom était notre meneur, nous l'avions choisi car même du haut de ses cinquante ans, ce barbu bâti comme un menhir restait le plus fort, le plus courageux, et surtout, le plus intimidant membre du convoi. Nous ne nous étions pas arrêtés la nuit dernière, et cette « falaise » arrivait à point nommé. Nous étions tous épuisés, mais la vue de la falaise sembla redonner du baume au cœur à toute la tribu: tout le monde se remettait à parler et à rire, dissipant le morne silence dans lequel nous marchions et qui n'était autrefois troublé que par quelques bâillements de temps à autres. Entendre un enfant emmitouflé dans des draps bien trop grands pour lui demander à V.I.C. pourquoi nous y campions toujours lorsque nous rencontrions des falaises comme celle-ci me renvoya au souvenir du jour où je lui posai pour la première fois cette question. Etrangement, sa réponse était le parfait écho de mes souvenirs: « Les falaises sont un refuge idéal pour nous. Vois-tu les planches et les poutres au fond des charrettes ? Nous nous en servons pour construire des échafaudages que nous accolons à la falaise. Nous pouvons y dormir à l'abri de tout prédateur, car comme tu le sais, faire un feu éloignerait la plupart des animaux, mais attirerait les néo-humains, trop bêtes pour avoir une société évoluée, mais suffisamment pour savoir manier le feu, et ne plus le craindre. Or, ce genre d'abri en hauteur nous procure la même protection qu'un bon feu face aux animaux, et nous permet de ne pas nous faire repérer par les néo-humains. »

 

 

Son discours était le même, à la virgule près, après tant d'années. Mais je connais sa vraie nature: alors que j'étais enfant, lui, était déjà ainsi. Il n'a pas vieilli et ne vieillira jamais. Je sais que lorsque je serai mort, et même lorsque cet enfant sera mort, lui sera le même, répétant les mêmes paroles à un autre enfant qui aura posé la même question. Je suis le seul à connaître cette vérité à laquelle les autres ne prêtent pas attention: c'est une machine ! Notre Guide, il y a bien longtemps, avant même cette ère glaciaire, avait créé cette machine à son image pour que toute sa sagesse lui survive et que nous ne nous engagions pas sur le chemin qui avait mené l'humanité à sa perte. Alors même que les machines symbolisaient pour nous la décadence de l'antiquité, nous dépendions de l'une d'elles.

Nous arrivâmes au pied de la falaise où Tom nous divisa en trois groupes. Etant une cinquantaine, les trente premiers durent ériger les échafaudages qui nous serviraient de campement, dix autres partirent avec Tom pour chasser et sécuriser la zone, et le reste, soit onze personnes vinrent avec moi pour cueillir de quoi accompagner la viande ( si il y en a ) et couper un peu de bois pour les réparations occasionnelles devant être effectuées sur les charrettes, ou les échafaudages. Nos deux groupes s'enfoncèrent dans la forêt, se séparant du reste du convoi. A peine arrivés au milieu de ces arbres pour la plupart gelés, nous commençâmes à creuser la neige en quête de quelques racines commestibles ou d'hypothétiques fruits résistants au froid. Tom ayant pris la tête de son groupe me donna une tape sur l'épaule en me souhaitant:

"Bonne chasse Léo!

- Bonne chasse Tom, et sois prudent", lui conseillais-je à mi voix.

La fin de ma phrase fut étouffé par le bruit des pas des chasseurs traversant la forêt à grandes foulées. En un rien de temps, la forêt retomba dans silence de mort. Discrètement, Zoé vint me voir, acroupie, tout en faisant mine de creuser la neige et me fit remarquer que Tom cachait un tissu étrange sous ses couvertures, aussi blanc que la neige et enroulé autour de son cou. Zoé avait l'oeil pour repérer toute sorte de détails, et c'est pour cela que cette fine jeune femme était toujours de ceux qui partaient cueuillir. Cette fois-ci cependant, elle ne su me dire ce qu'était cet étrange tissu, mais j'étais décidé à poser la question à Tom quand il reviendrait.

Nous revinrent quelques heures plus tard à la falaise, honteux de notre chasse peu fructueuse. Nous n'avions pu trouver que quelques racines et seule la moité des fruits récupérés étaient comestibles. Mais nous apportions aussi du bois car il nous fallait réparer l'enclos des aurochs qui avait été détruit suite à une attaque de néo-humains. A notre arrivée, l'echafaudage était déjà érigé, V.I.C. enseignait aux enfants, l'enclos se montait, on détachait les aurochs des charettes qu'ils tiraient, et certains fabriquaient même de nouvelles lances: quand on chasse du gros gibier, il y a souvent de la casse. Tom et ses chasseurs n'étant pas encore arrivés, et la nuit tardant à venir, je m'approchai de V.I.C. pour écouter ce qu'il disait.

 

 

Son système d'éducation était assez efficace: les enfants qui le désiraient lui posaient une question et tous bénéficiaient de la réponse. On en venait donc vite à l'essentiel, comme comment reconaitre les plantes comestibles, que faire en cas de danger, ou plus superficiel comme "pourquoi papa veut pas me prêter sa lance?"

La question qui fut posée à ce moment là fût celle-ci:

"Où va-t-on?"

Dès lors, un silence religieux s'installa et les oreilles de tous, celles des adultes y compris se tendirent. Personne, pas même moi n'en connaissait la réponse, V.I.C. était seul à être sûr de notre destination.

"A la vitesse où nous allons, dans deux jours et cinq heures, si nous ne nous arrêtons pas, nous trouverons une grotte où nous pourrons nous reposer, puis, dans quatorze jours et quatre heures nous serons arrivés sur les côtes africaines par l'ancien Détroit de Gibraltar...

- Et qu'y a-t-il làbas? tentais-je."

En guise de réponse il tourna la tête vers Tom et son groupe qui arrivaient, courant, haletant, bien moins nombreux qu'à leur départ, et tenant une grosse boule de poils gluante et gémissante. C'était un mammouth venant de naître. Tom éreinté nous cria:

"Eloignez les enfants prenez vos lances et préparez-vous!

- Nous préparer à quoi!? fit l'un d'entre nous,

- A des mammouths!

Un tremblement se fit ressentir dans nos esprits. Tous oublièrent V.I.C. et ses secrets, et dans un mouvement aussi instinctif que tactique, les enfants furent envoyés derrière l'enclos des aurochs, tous prirent une lance et dix d'entre nous partirent se cacher dans les arbres alentours, prêts à sauter sur l'ennemi lorsque il surgirait. L'instant qui suivit, un autre tremblement survint, terrestre celui-ci, et un mammouth fou de rage que son petit lui aie été pris, nous fonça dessus, écrasant les arbres qui avaient eu l'imprudence de se dresser devant lui. Sans hésiter, ni même réfléchir, la bête s'abattit sur nos premières lignes, tuant à grands coups de défenses ceux qui n'avaient pas eu la présence d'esprit ou la force d'esquiver. Nous l'encerclâmes, lui coupant ainsi toute retraite, puis les hommes dans les arbres sautèrent sur son dos et y enfoncèrent profondément leurs lances. Le mammouth, tentant le tout pour le tout se mit à courir vers son enfant qui avait été déposé près de l'échafaudage et piétina donc sans y préter aucune attention, trois chasseurs. Le mastodonte s'approchant dangereusement de son petit et de la falaise, V.I.C. qui jusqu'à lors était resté assis en tailleur, se leva d'un bond, prit une lance et avant que l'on eu fait un geste, l'avait lancée sur le mammouth. La lance était rentrée par l'oeil et ressortie de l'autre côté du crâne dans un fracas d'os et de sang. Aussitôt le monstre s'effondra dans la neige.

 

 

Nous poussâmes tous un cri victorieux, sauf V.I.C. qui déjà escaladait l'échafaudage. Ce soir là, nous mangeâmes jusqu'à éclater. Des morceaux de viande furent mis de côté, enterrés sous la neige pour ne pas attirer de bête,et nos morts furent enfouis sous la terre avec la carcasse du mammouth à plusieurs centaines de mètres de la falaise. Enfin, toutes les traces de sang recouvertes, nous pûmes enfin aller nous coucher.

La neige avait cessé de tomber. Une fois que tous étaient montés, les échelles de bois furent retirées dans un raclement sourd.

Tout en haut de l'échafaudage, je m'enfouissais sous les quelques draps et peaux dont je disposais, lorsque Zoé vint me parler, mais je ne lui laissai pas le temps d'ouvrir la bouche:

"Oui, je vais parler à Tom du tissu que tu as vu, ne t'inquiète pas.

- Ce n'est pas de ça dont je voulais te parler, me répondit-elle simplement.

- Ah.. et de quoi voulais-tu me parler?

- Le bébé mammouth... il est partit...

- Tu ne croyais quand même pas qu'il allait rester chez ceux qui ont dévoré sa mère?

Choquée, elle semblait chercher ses mots, alors j'ajoutai :

- De toute façon, on n'aurait pas pu ni le nourrir ni l'emmener avec nous. Mieux vaut qu'il soit partit mourir un peu plus loin.

- Mais je ne voulais pas le garder! il fallait le tuer!

Sa réponse me coupa le souffle.

- Maintenant il doit avoir rejoint sa famille et il va les attirer ici!!

Ayant enfin compris où elle voulais en venir, je pouvais lui répondre, rassuré.

- Calme toi. Même s'il a survécu assez longtemps pour rejoindre les siens, ce dont je doute, il ne les fera pas venir ici.

- Pourquoi-ça?

Zoé était à peine plus jeune que moi, pourtant, elle me posait tant de questions que parfois je me sentais aussi vieux que V.I.C.

- S'il est capable de leur expliquer que sa mère a été tuée, ils ne vont pas se précipiter pour venir tester la force de ses assassins et risquer ainsi d'en perdre d'autres. De plus, le sacrifice de quelques uns protège l'ensemble du groupe en retardant les prédateurs, et s'ils venaient maintenant, sa mort n'aurait servit à rien.

- D'accord ; tu vas le lui demander?"

 

 

J'acquiesçai, elle s'assit. Je partis voir Tom, au même étage, mais à l'autre bout de l'échafaudage. Me frayant difficilement un chemin entre mes voisins encore debouts, je finis par l'atteindre. Alongé sur le dos, il arangeait ses peaux autour de son cou, mais entre les peaux sombres et les draps gris, on pouvait appercevoir un morceau de tissu blanc. Lorsqu'il me vit arriver, Tom se redressa brutalement, et me scrutant ,l'air inquiet, de ses yeux d'un noir profond...

- Ca va? tu n'as rien?

- Je vais très bien, merc...

- Je t'avais perdu de vue durant la bataille, je croyais que tu faisais partie des morts!

- Tout va bien... mais je voudrais savoir...

- Quoi donc?

- Ce tissus blanc, près de ton cou... c'est quoi?

- Ah, ça? fit-il en sortant sous mes yeux l'objet en question. C'est une "stunèch'harp", un habit des temps anciens, bien avant que la glace ne recouvre la terre ; c'est l'héritage de mes ancêtres.

- C'est plutôt léger comme habit, fis-je en portant la stunèch'harp au niveau de mes épaules.

C'était une bande de laine étrangement douce et claire malgré les millénaires qu'elle a traversé et les quelques taches de moisissurequi étaient apparues autour du symobole à moitié effacé qui ornait son centre. La stunèch'harp était presque ausi grande que moi, mais ne mesurait qu'une trentaine de centimètres en largeur.

- Mon père m'a dit, d'après son père et son grand-père avant lui, qu'elle se portait enroulée autour du cou.

- Juste pour le cou? les anciens se balladaient nus avec cette èspèce de laine sans odeur autour du cou?

- Je ne sais pas, c'est tout ce que je sais de cette époque: "Quand l'hiver arrivait, ils mettaient tous leurs stunèch'harps autour du cou."

- Et ce symobole bleu au milieu d'un cercle: "CI..", mais c'est effacé...

- Mon père m'a dit que son arrière grand-père avait réussi à déchifrer "ON", mais depuis, la marque disparait de plus en plus vite.

- Et tu sais ce que ça signifie?

- Non, mais j'ai quelques idées. "O" et "N" peuvent être les initiales du propriétaire de cette stunèch'harp. Elles peuvent être le début d'un nom plus long aussi, sûrement quelqu'un d'important.

- "ON" peut vouloir dire "nous", ce serait le symbole de l'union de la tribu.

- Oui, peut être. On ne le saura probablement jamais. Allez, bonne nuit.

- A demain, lui lancai-je en revenant sur mes pas, repose-toi bien!

La nuit était tombé, et le vent aussi. Les nuages étaient repartis et le ciel plein d'étoiles baignait la falaise d'une douce lumière qui me permit de voir que Zoé m'attendait, toujours assise à la même place, les yeux brillant du reflet argenté de la pleine lune. Impatiente, elle se jetta sur moi pour obtenir un résumé de ce qui c'était dit, alors je le lui fis. Ayant tout entendu, tout compris et posé plus de question que je pensais qu'il n'en puisse sortir de la bouche de quelqu'un, elle partit se coucher un peu plus loin, et quant à moi, je pus enfin dormir...