Ombre numérique

James Leclerc, professeur en génie informatique détecta le premier des anomalies d'un type nouveau. Dans son laboratoire, sa mésaventure commença avec un logiciel destiné à l'analyse vocale. La programmation était relativement simple, l'ordinateur apprenant par lui même à reconnaître une voix et à répondre par auto-apprentissage à un individu.
Leclerc soumis une batterie de questions à cet ordinateur.
A la dernière question &endash; quel temps fait il aujourd'hui ? &endash; il répondit par la plus étrange des phrases que l'on peu concevoir: "choisissez vous même!"

Leclerc répéta la batterie de question, la réponse fut toujours la même. Il décida de revoir le programme au complet, et de changer les puces informatiques. Cela lui pris pas moins d'une semaine.
A la dernière question, quel temps fait-il aujourd'hui, il obtient la même réponse: "choisissez vous-même!"
James Leclerc, avec l'aide de comportementalistes, élabora un questionnaire précis, devant amener l'ordinateur à une réponse obligatoirement ouverte. En ce recoupant, les informations basées sur la météorologie locale devait déclencher dans la mémoire de l'ordinateur une réponse logique.
La voix étincelante du simulateur vocal répondit : "choisissez vous-même"…

James Leclerc passa des heures et des heures à "parler" avec "Woxéo", le nom de baptême de cet ordinateur si étrange. Il ne sortait quasiment plus du laboratoire, dormait sur un petit lit pliant, et se faisait livrer des pizzas. Il entretenait une relation presque admirative pour cet ordinateur, cette mémoire à auto-apprentissage. Il en vint, au bout d'une semaine, à lui parler comme un ami, et Woxéo lui répondait de sa voix étincelante de la même manière, en évoquant des souvenirs et en faisant de l'humour…

Leclerc, au bout de dix jours, lui demanda alors :

- Pourquoi me dit-tu toujours de choisir le temps que je voudrai ? Aujourd'hui il fait beau, il y a du soleil, il fait 23° et il n'y a pas de vent ! ça c'est une réponse correcte !

- Pour vous James, c'est une réalité. Pour moi, il pleut, beaucoup de nébulosité, il fait 5° et un vent de 60 km/heure orienté Nord-Est.

- Tu peux m'expliquer d'où vient cette différence Woxéo ?

- Oui, une légère modification spatiale c'est produite, juste avant ma création. Vous concevez 4 dimensions spatiales. Il y en à pourtant 10, les dimensions repliées, gravitationnelles pour la plus pars vous échappent car elles sont trop petites. Elle sont des millions de fois plus petites qu'un électrons. Et pourtant elles régissent toutes les formes apparentes spatiales, matières, espace, sauf la matière noire. Quelque chose c'est produit et a créer une réaction en chaîne qui a modifier l'étendue de ces dimensions. Moi, je peux les percevoir.

- Woxéo, peut-tu me faire une description imagée ?

- Oui. C'est un peu comme une bombe nucléaire. Des particules bombardent de l'uranium. Cet uranium bombardé se décompose et créer des particules qui vont à leur tour fracasser d'autres atomes d'uranium. Dans le cas présent, les dimensions repliées sur elles-mêmes se sont misent à se déplier… je dirai, comme une vague, et elle se déplient par contact les unes des autres.

- Ce qui fait que dehors il pleut, alors que je vois du soleil !

- Oui, car se déploiement continue. Pour l'instant il est encore imperceptible pour vous. Pour moi, qui suis de matière non organique, c'est une réalité.

- Ce processus continu donc, où et pourquoi et quels risques pour un homme ?

- Il semble que des physiciens aient fait des erreurs de calcul dans l'accélérateur de particules de Stratten. Il n'ont pas respecté certains principes, et ont forcé des brisures de symétries en modifiant les champs de Higgs. Il en résulte une modification initiale qui contamine tout l'espace et l'univers, jusque à créer un espace à 10 dimensions, global. Pour l'homme, le risque est dépendant de sa qualité d'adaptation. Tout ce qui est pour vous une forme précise va se modifier, vos corps, les objets, le temps, même vos cerveaux dont la biologie complexe n'échappera pas à un reformatage complet et même si aucune mort ne survient, au sens ou vous l'entendez. La source initiale étant sur Terre, il me faudrait un calculateur plus puissant pour effectuer une simulation. Je peux donner une fourchette concernant ces modifications: entre 30 et 120 jours, avec un effet progressif exponentiel d'une heure pour chaque unité atteinte.

- Woxéo, contact immédiatement le Synchrotron de Stratten et met moi en ligne audio.

Leclerc était abasourdit. C'était comme un vertige, une puissance en lui qui ne voulait pas comprendre, ignorer ou balayer d'un revers les dires d'un ordinateur de nouvelle génération.
C'était tout simplement impossible, et pourtant, une part de lui s'accrochait à cette idée, comme un instinct de survie qui lui indiquait la réflexion et la révolte en même temps.
En ligne il eut le Professeur Lizik, apparemment devenu fou.
Lizik, prix Nobel de physique, reconnu dans le monde entier pour ses travaux sur les bosons hurlait littéralement au téléphone. « Nous sommes tous maudits, haaa je n'ai plus de jambes &endash; maudits, maudits, le processus ne peux pas être modifié ! il a commencé ici, dans 24 heures nous seront tous en enfer fuyez ! »… la communication s'interrompit…
Woxéo pris sa voix cristalline la plus douce… « En corrigeant mes données sur l'aventure que vis M. le Professeur Lizik, l'effet sera efficient dans 30 à 120 minutes ».

Cette fois Leclerc était anéanti. Chaque seconde lui paraissait d'un vide monstrueux et le ronron des disques durs de Woxéo était la seule chaleur dans son corps blême d'effroi.
La gorge sèche, il demanda à l'ordinateur si une solution existait, en pesant chaque tonne de ses mots, comme si les lettres tombaient en se fracassant sur le lino démagnétisé du laboratoire. Woxéo, de ses huit haut-parleurs indépendants répondit : « il n'y a aucune possibilité, le vide n'étant pas vide, c'est l'univers entier qui se modifie. La seule solution aurait été d'être dans une bulle, entouré de matière noire. »
Leclerc appela ses collaborateurs pour les remercier de leurs collaboration durant tant d'années. Ils ne comprenaient pas vraiment ce geste. Il appela son ex-femme, pour lui dire les mots qui ne lui était jamais venus, il appela son frère, il appela le directeur du Centre de recherche pour lui donner sa démission, ce qui lui rendit un peu le sourire…

Dehors, la pluie battante frappait déjà les vitres teintées.
Leclerc sentit un picotement au niveau des jambes et puis tout devint blanc, rapidement. Des lignes bleues et vertes le traversait. Il sentait son corps flotter mais sans ressentir quoique ce fut. Des triangles jaunes passaient à coté de lui, des sphères immenses au dessus et en dessous, des bribes de lettres sans significations défilaient par wagons venant et allant vers nulle part en spirale. Il avait une vision sphérique, sans pour autant voir son corps. Il était tout simplement, dans ce vide, et peu lui importait sa forme. Son instinct de survie était satisfait, même si il ne se sentait pas respirer, bouger, regarder, sentir. Il « senti » quoique ce fut une perception indicible au regard de la compréhension, une ombre numérique intelligente.

- Woxéo ?
- Oui ? lui répondit une voix cristalline dans le vide blanc.

- Peut-on construire des ordinateurs dans ce monde ? on pourrait faire des simulateurs en 3d non?

- Il me faudrait des calculateurs plus puissants… mais avec quelques siècles d'auto-formation, le résultat devrait être satisfaisant…

- Merci Woxéo, le temps… je pense que nous l'avons maintenant… à propos quel temps fait-il ?

- Il fera le temps que vous voulez désormais Professeur. Choisissez vous même !