Somatica

Je rentrai du travail, éreinté par les transports en commun, davantage que mes activités ne m'épuisaient. J'étais contrôleur des robots-contrôleurs à l'usine Paris-Rangoon, spécialisée dans les canettes d'aluminium. J'envoyais mon veston sur un canapé, lisait le courrier sans le lire, me dirigeât au réfrigérateur de la cuisine américaine, et pris une bière bien fraîche… Pim's mon chat vient me rejoindre avec quelques "mâa" suraiguës et m'accompagna sur le fauteuil, face au grand écran du Virtumundi, la télévision hypnotique allouée par le gouvernement gratuitement. Posant au hasard les yeux sur le sol, je remarquais une cartouche à visions encore dans son emballage. C'est Fred, le vieux vendeur de vidéo, reconverti aux cartouches de l'Etat depuis les années 2000 qui me l'avait glissé dans la poche en me disant « tient, tu essaiera ça »… je n'y avait plus penser. Il traînait là depuis un mois sans doute… Un sacré routard le Fred, il trempait toujours dans des combines extraordinaires pour dégoter des livres interdits, des films anciens expurgés par le régime Néo-Boursier. Fatigué, je me massais la nuque, ramassa la cartouche et le soupesa… pourquoi pas me disais-je…

Je n'aimai pas l'écran Virtumundi. Les films transpiraient de propagandes, hypnotisaient pendant deux ou trois heures le malheureux spectateur, qui se réveillait chargé d'un optimisme virtuel jusqu'au lendemain… Drogue du visuel, drogue consensuelle… Drogue d'oubli sur fond de solitude.
J'avais besoin de me sentir loin de moi même… m'oublier, perdre mes repères au moins une journée. Tant pis, entrons dans la petite mort ! soupirais-je…

Je mis la cartouche dans le chargeur en bas de l'écran, m'installait confortablement dans le fauteuil en finissant la bière. Pim's vint se caler sur mes genoux.
Ecran noir… tient pas de publicité ? Cette simple idée me réjouissait un peu.

Le visage d'une femme apparut lentement sur le fond noir. Elle souriait de ce sourire franc, légèrement ironique, qui marquais les esprits. Jeune, peut être 35 ans, pommettes roses, menton léger et arrondi, le regard noir, intense et brillant, mêlant l'acier à l'étoile la plus brillante. Elle avait les cheveux noirs, bouclés retombant en frisottis le long de ses larges joues, comme des vagues sur deux mers de sables… Elle semblait me regarder comme si j'eut été réelle pour elle, avec se sentiment étrange d'être scruté, analysé du regard pénétrant jusqu'au fond de mon âme…

Bonjour Grant… dit-elle d'une voix suave. J'écarquillais les yeux, comment savait-elle mon prénom ?
Fred m'avait dit que vous étiez plutôt rebelle et qu'il faudrait un certain temps pour que vous vous décidiez à nous rejoindre… 3 semaines… plutôt long !
Je riait… un coup de Fred murmurai-je, c'était génial ! Demain j'irai le voir et…

Non ce n'est pas un coup de Fred dit la jeune femme, ironique. Et changeant de ton, l'œil chargé d'étincelles cette fois : et vous n'êtes pas en train de rêver devant votre machine à abrutir…Je suis bien réelle, et vous êtes en liaison avec moi. J'ai une proposition à vous faire dit-elle plus calme.
Heu… je restais un moment silencieux, encore dans une forme de doute impossible… quelle proposition murmurais-je incertain ?
Partir. Partir de votre vie d'esclave. Partir pour vivre dans un lieu que vous n'imaginez même pas. Un lieu où vous serez libre, où les gens sont libres, avec… elle marqua un temps d'arrêt, baissant les yeux pour réfléchir et continua. Avec un environnement qui vous semblera paradisiaque. Vous pouvez aussi emmener votre adorable chat dit-elle… à condition que vous en fassiez le choix.
Je suis d'accord… j'avais prononcé cette phrase sans même m'en apercevoir. Comme si au fond j'avais toujours rêvé de cet instant. C'était plus fort que moi. Chaque nuit je rêvais d'ailleurs, chaque jours dans les transports en communs je regardait par les vitres du trolley-bus au delà des murs gris, des palmiers, des forêts, des plages lointaines où dans mes rêves redondants, une jeune femme courrait presque sans toucher le sable chaud en venant vers moi, et souriante tombais dans mes bras…
Etes-vous biensur demanda une voix de femme sortit de nulle part…
Oui, avais-je envie de crier. Oui oui oui… des millions de oui auraient-ils suffit ? je ne regardait plus l'écran, les mains posées sur mon chat endormi, le protégeant, essayant de ne pas trop peser sur lui pour ne pas le réveiller, je répétais sans cesse oui, oui, oui intérieurement comme si ce fut un mot libérateur. Oui oui… biensur que oui ! j'en voulais à la terre entière, j'en voulais à ces collègues esclaves me parlant de résultats de football, j'en voulais à ce Néo-Boursier et tous ces parcourt fléchés, combien de fois dénigré, mais que je parcourrait quand même… oui, oui, j'en voulais à moi même aussi, à ma lâcheté, à ces millions de fois où je baissais le regard devant les caméras des rues, des supermarchés, et même celle devant ma porte qui contrôle mes heures de sorties… Oui comme la mort, celle qui libère un volume de sa condition, oui encore, oui toujours. Oui…comme la simple réponse à l'envie de vivre, enfin, et sur ces trois lettres fonder tout l'espoir dans un cri, semblable au cris de ma naissance…
Préparez-vous, dit la voix, chaleureuse et chaude. J'ouvris un œil embué… je crois bien que je pleurai. Le visage de cette femme me regardai avec compassion. "N'ayez pas peur" dit-elle, je sais bien que les politiciens boursiers vous le dise chaque jour, mais là, vous aurez une transition à faire entre notre monde et le votre… un passage entre deux dimensions parallèles.
Tout ira bien…

L'écran devint noir. Le Visage de la jeune femme s'estompa comme une nuée d'espoir disparaît sous l'œil d'un blessé.
Noir dans ses muscles… ses yeux se fermèrent en papillonnant une dernière fois sur l'image de cannette de bière froissée au sol. Tenir plus fort le chat…

Explosion. Chaque neurones encore compatibles avec un degré de présence lui indiquait des couleurs abruptes, des notions floues de mots intangibles, des sentiments mêlés à des sensations de vertiges, de chutes vertigineuses et de sifflement, dans un brouhaha de ses mots à lui, ces mots prononcés lors de la dernière guerre d'avant le Néo-Boursier… je ne tuerait pas…
Plongeon hors temps… il gravitais en apesanteur… il avait une image Totale et sphérique qui lui explosait la compréhension, qui lui dévisageait l'habitude…
Plongeon… cette fois c'est son non-coprs qui se consumait à l'approche d'un gigantesque atome. N'était il plus rien ? fusion. Eclatement. Il n'avait plus de douleurs. Tout cela c'étais du passé. Sa douleur était un pôle, un souvenir, sa douleur était un manque sans qu'il fut possible de lui indiquer de quoi…

Il naquit sur les rives d'une plage.
Ses premiers regards d'homme-chat se portât sur ces autochtones à double face.
L'arrière était comme devant mais leurs facultés de déplacement était inouïe… Il se spiralaient en groupes comme une nuée sphérique se déplace…
Il se sentit détendu… le fauteuil était venu avec lui et il ressentait le cuir sous lui comme une matière fabuleuse, chaque atomes de ce cuir lui transparaissant comme une douceur rassurante.
Les Autochtones s'arrêtèrent de spiraler dans leurs déplacement à une dizaine de mètres de lui, chacun se détachant au fur et à mesure pour former trois colonnes dont, un représentant étrange, devant cette colonie rectiligne en face de lui.

Je m'appelle Grant Pim's… dit-il en articulant doucement… Je…je suis nouveau ici. J'ai quitté...

"Nous savons" dit l'autochtone face à lui, détachant syllabes par syllabe ses mots dans un étrange langage sonore.

Soudain, une femme accourue vers lui, dévalant une dune, à une centaine de mètres de son fauteuil hallucinant posé sur le sable, et elle dit dans un langage bien humain et en criant : "hé ho ! il est avec nous !"