Là où les gens s'en vont

L'unicité de la société humaine, rendu possible par l'implant, permit de donner naissance à l'âge d'or éternel de l'humanité.

Quelques siècles plus tard, les terriens envoyèrent une expédition afin de retrouver les colons de Proxima. Pour une raison étrange, la communication entre la Terre et Argulus fut coupée soudainement. Certains scientifiques pensèrent qu'il s'agissait d'une des conséquences d'un vent solaire extrêmement puissant qui aurait brouillé définitivement les ondes entre les relais de communication voguant dans l'espace.

La première chose que vit l'équipe d'expédition était stupéfiant. Au lieu d'une planète protégée par une atmosphère artificielle semblable à la Terre, se trouvait une terre abandonnée de toute vie. Ils repérèrent ce qui semblait être les vestiges d'une des cités humaines et s'y rendirent.

Il n'y avait plus d'air, plus d'atmosphère, plus de vies aux alentours. Pas un cadavre ne jonchait le sol. Après quelques heures de recherches, l'équipe des techniciens se penchait sur l'ordinateur central, chargé de relier les communicants entre eux, de gérer l'électricité et de veiller à la survie de ceux qui étaient entrés dans la Communion Collective de l'Implant.

Au moment où ils parvinrent à réactiver l'ordinateur, qui s'était désactivé pour une raison inconnue étant donné que le métal dont il était doté le protégeait de tous types d'environnements même des plus hostiles, ils reçurent simultanément le message des autres membres de l'équipe leur informant qu'ils avaient retrouvé des cadavres en partie décomposées à plusieurs kilomètres en dehors de la cité.

Quelques temps plus tard, ils retrouvèrent dans la base de données différents relevés. D'abord, ils virent que l'énergie du champ de force protégeant l'atmosphère vivable de la cité était à un niveau nul.

Ensuite, ils cherchèrent l'historique de la puissance de ce champ au cours de ces dernières années. Et c'est avec effarement qu'ils virent que cette puissance nulle était apparue depuis longtemps… et même au début de la création de la cité, ce qui était impossible. La communication entre les deux planètes s'était coupée il y a seulement une cinquantaine d'années.

Plus grave, le nombre d'habitants depuis l'arrivée des colons était également nul.

Il semblait évident qu'un bug était la seule explication à ce soucis.

Quelques heures plus tard, ils parvinrent à récupérer certaines données qui avaient été effacées. Le plus étrange étant que le nombre d'habitants décroissait avec la puissance du champ de force. Ils en conclurent que les habitants, fatalistes et devant l'impossibilité de demander l'aide d'une équipe de dépannage des terriens, ont été contraint de vivre dans un espace de vie de plus en plus restreint. Cette idée engendra une émotion qui fut immédiatement partagée par toute l'équipe.

L'autre équipe d'explorateurs annonçait à chacune de leur avancée un nombre de plus en plus grand de cadavres en dehors de la cité.

Mais, passé cette émotion, ils virent que ce problème technique existait bien avant la panne des outils de communication. Si tel était le cas, voyant le danger dont était plongé leur lieu de vie, ils auraient pu exiger une équipe de secours humaines et techniques. Or, le problème semblait être apparut plus de 150 ans auparavant.

Comment était-il possible que ces hommes et femmes n'aient pas réagi dans les premiers jours ? Etaient-ils fatalistes à ce point ? D'après les souvenirs des dernières conversations Terre-Argulus, il semblait n'y avoir eu aucun moment de panique de la part des Argulusiens. Tel des lemmings, ils se dirigeaient vers une fin certaine sans chercher pour autant à l'éviter.

Ils envoyèrent par la pensée les résultats de leurs investigations en direction du vaisseau qui servait de relais auprès de la station spatiale orbitant autour de la planète bleue.

Après analyse, il s'avérait que la diminution conjointe de la population et de l'énergie du champ de force n'apparut qu'une quarantaine d'années après la première réduction du champ. Par la suite, la diminution fut lente, puis de plus en plus rapide au fil des années.

Plusieurs hypothèses furent élaborées sans explications réellement solides.

Ils restèrent sur place durant plusieurs jours afin de trouver d'autres indices dans les méandres enfouis de la machine.

Ils redécouvrirent les esprits des premiers défunts sauvegardés dans le disque dur. Ce qui les étonna, ce fut l'arrêt progressif des sauvegardes des esprits des morts. Plus aucun esprit ne fut transféré plus de 70 ans après le premier incident. Et le plus étrange était que certains noms disparaissaient de la base de données. Et bizarrement, le nombre de ces noms qui disparaissaient correspondaient au nombre d'habitants en moins.

Par une étrangeté sans nom, lorsqu'un habitant disparaissait, une sorte de réinitialisation du système s'opérait et lors d'une nouvelle cession, les noms étaient purement et simplement supprimés. Une corrélation pouvait très sérieusement être faite entre la disparition des noms, la diminution du nombre d'habitants et la réduction du champ de force.

 

L'un des scientifiques osa formuler ce que tous refusaient de comprendre, tant la logique d'une telle action était incohérente.

C'était l'intelligence artificielle de l'ordinateur central qui était le principal responsable de cet état de fait. Cette dernière voyant l'énergie du champ de force s'amenuisant pensait que le seul moyen de rallonger le plus possible la durée de vie de ce champ était de faire des économies d'énergie. Or, toutes les fonctions électroniques vitales pour les habitants ne pouvaient pas subir de coupure de courant. Le seul moyen était donc que chaque maison, chaque appartement devait être vidé de ses occupants afin qu'il puisse couper l'électricité en partant.

Cependant, il fallait convaincre les occupants de partir et quitter pour toujours la cité. Et c'est ainsi qu'il avait utilisé l'implant pour mettre son projet à terme. Par une manipulation subtile du cerveau, à chaque réinitialisation, il réécrivait l'histoire des habitants en leur faisant croire que telle personne n'avait jamais existé. Ainsi, grâce à une amnésie collective, l'ordinateur put changer sans vergogne toutes les données sans que l'on ne s'aperçoive de rien. Chaque personne choisit aléatoirement par l'ordinateur faisait ses valises et quittait le champ de force, se rendant ainsi au rendez-vous d'une mort certaine.

De fait, lorsqu'il n'y eut plus aucun habitant et que le champ de force avait sonné son glas, l'unité centrale coupa un à un tous les systèmes électriques en finissant par lui.

Ils prirent soudainement conscience des dangers que pourraient courir toute l'humanité si une telle panne arrivait sur Terre.

Le chef de l'équipe d'experts envoya son rapport. Il s'aperçut ensuite que l'I.A. s'était réactivée depuis quelques minutes. Avant de s'éteindre, elle avait sûrement élaboré un programme le réactivant au bout d'un certain temps. Il voulut la désactivée avant de rester hébété devant son doigt, prêt à appuyer sur la touche « désactivée I.A. » du moniteur. Il ne se souvenait pas de la raison pour laquelle il voulait faire cela. C'était d'autant plus ridicule que l'air ambiant était tout à fait respirable. Il ordonna donc à toute son équipe de retirer leurs scaphandres.

Quelques minutes plus tard, l'ensemble de l'équipe terrienne vint se joindre aux anciennes dépouilles des habitants de la cité Argulusienne...