Un nouveau départ

Les rues de la capitale ne lui ont jamais paru aussi illuminées et resplendissantes. La plus belle ville du monde s'offrait à lui comme pour fêter son départ pour Beijing. Foulant les dalles de Trocadéro, Carl observait pour la dernière fois la plus célèbre tour de la planète. La Dame de Fer semblait se mouvoir sous l'effet des milliers de lampes accrochées à ses parois.

Comme à son habitude, il déroula mentalement le fil de sa vie. Profondément engagé dans l'Humanitaire pendant plus de 20 ans, il s'était lancé dans la vie politique. C'est là qu'il accepta d'entrer dans un gouvernement de coalition en tant que ministre des Affaires Etrangères. Cette décision allait changer le cours de sa vie.

Il revit son ami Martin Shrich, connu alors qu'il était à la tête de Prométhéus auprès des démunis, dans ce gouvernement en tant que Haut Commissaire aux Affaires Sociales. Cette présence amicale l'avait aidé pendant ces 1 an et demi au ministère.

Lorsque le miracle eut lieu, le Président avait senti les changements à venir, "la cassure" comme il aimait à le dire. Il en profita pour réorienter les priorités de la société à l'éducation et à l'économie au détriment de la police, de l'immigration, des affaires sociales, de la santé et un peu du sport (les sports de combats étant rendu obsolètes car impraticables).

C'est au cours de ce remaniement qu'il avait été remercié, faute de résultats suffisants. La méritocratie voulut par le Président était à ce prix. Il se demandait toujours comment l'on pouvait mesurer la bonne gestion des affaires étrangères.

Par la suite, il avait repris son combat humanitaire, mais les effets du miracle rendait inutile leurs actions. Il se retrouvait donc sans activité vraiment sérieuse, mis à part quelques commissions émanant de l'ONU une fois par an.

Il avait également tenté de se renseigner sur le miracle qui lui avait coûté son ministère et sa raison d'être dans l'Action Humanitaire. Cet intérêt était devenu obsessionnel au fil des mois écoulés jusqu'à ce qu'il apprenne l'existence de l'OMRSM. S'il parvenait à pénétrer dans cet antre secret, il assouvirait sa soif de recherche sur le phénomène.

Après une lettre de refus, il décida de sortir un livre sur son parcours et le miracle dont il essayait de lever quelques mystères. La polémique sur l'incertitude sur les effets à long terme du miracle disserté sur ce livre et la possibilité d'un effet vicieux caché, avaient déchaîné les passions et de vrais débats naquirent de cette polémique. L'éditeur l'avait personnellement félicité du succès du livre qui battait le record des ventes de la maison d'édition.

Et alors que l'actualité oubliait la polémique et parlait de moins en moins des miraculés, il reçut la lettre de l'OMRSM l'invitant à se présenter à 8 heures au hall de la succursale, à Paris.

Il s'aperçut très vite, arrivé dans les lieux, qu'il n'était pas le seul à avoir reçu cette invitation. Une centaine de personnes s'y étaient réunis, appelés par l'Organisation. Il y aurait une sélection drastique. Au bout de 2 heures d'attente, l'un d'eux vint s'asseoir près de lui. Il s'appelait Francis Poirrier et avait reçu, comme lui, la convocation. Après quelques minutes de conversation, l'homme se dégourdit les jambes en allant discuter avec les autres.

Au bout de 4 heures, une vingtaine de personnes avaient quitté les lieux, mécontents que l'on se soit moqué d'eux.

Au bout de 5 heures, ils n'étaient plus que la moitié à attendre ne serait-ce qu'un signe des recruteurs. Francis revint s'asseoir près de lui. Il restait calme et détendu. Il interpella une femme qui était à côté de lui, de l'autre côté. Cette dernière montrait des signes d'agacements et d'impatience. Il tentait d'engager la conversation, mais cette dernière lui répondait sèchement à chacune de ses questions.

A la 6ème heure, le femme abandonna le hall. Elle sentait venir en elle une crise de nerf insurmontable et préféra quitter les lieux avant son déclenchement. En partant, elle souhaita bon courage aux 6 derniers qui étaient encore restés dans la place. Peu de temps après, les portes de l'ascenseur s'ouvrirent pour la 543ème fois depuis les 6 heures d'attente.

Il commençait à se sentir las et son camarade de discussion ne savait plus comment engager la conversation. Il sentait d'ailleurs monter en lui une rage contre cette organisation qui lui avait fait miroiter l'espoir de voir son rêve devenir réalité et qui, en fin de compte, avait sûrement changer la date et l'heure de son rendez-vous ou l'a tout bonnement annulé. Il pensa même que le recruteur lui avait laissé un message chez lui alors qu'il était là, à attendre pour un entretien qui ne se déroulera jamais.

Il se levait lorsqu'un homme bien habillé vint vers leur direction, salua Francis qui se leva pour lui serrer la main avant de se présenter et nous saluer à son tour. Il s'agissait du recruteur de l'OMRSM qui félicita les 5 derniers candidats pour avoir réussi le test de sélection, appelé aussi test de motivation et de patience. Francis participait lui aussi au recrutement. Sa mission était de discuter avec les candidats dans le cadre d'une évaluation du profil psychologique de chacun et se rendre compte ainsi de leur capacité à s'intégrer dans le futur groupe d'enquêteurs.

Après leur avoir inviter à assister à un briefing le lendemain matin à la même heure au troisième étage de l'immeuble et à leur permettre de prendre congé, il discuta quelques secondes seul à seul avec Carl. Il s'excusa pour la lettre de refus qu'il avait renvoyé il y a quelques années, mais la politique de recrutement de l'Organisation était stricte: "On ne postule pas pour l'Organisation, c'est l'Organisation qui vous choisit."

La 5ème Symphonie vint troubler ses pensées. C'était Martin.

- Salut, mon vieux !
- Salut, Martin !
- Félicitations, mon cher Carl !

Son interlocuteur restait interloqué, sans moyen de réagir ni de répondre.

- Héhé, les infos filent vite ici, tu sais.
- Mais comment…
- Je te rappelle que sa création était une initiative française au départ, même si elle a été appuyée par les Etats-Unis. Et vu qu'il n'y a plus de gouvernements nationaux ou transnationaux, l'instauration d'un Conseil des Sages a rendu plus fluide l'organisation humaine. Et comme cette structure dépend de l'Administration du Conseil et que notre ancien Président est devenu l'un de leurs membres et qu'il s'est vu chargé entre autre de la gestion de cette organisme et qu'il m'a engagé auprès de lui…
- Tu es au courant de tout ce qui s'y passe de prêt ou de loin.
- Gagné !
- C'est dingue, ça. Tu ne m'avais jamais dit que tu avais des informations sur l'OMR…
- Stop ! Arrêtes-toi tout de suite.
- Hein ? Qu'est-ce qui t'arrive ?
- Il y a certains mots qu'il ne faut pas dire.
- Quoi ? C'est quoi ce délire ?
- Tu n'as jamais entendu parlé d'un système informatique qui écoute toutes les conversations téléphoniques dans le monde entier ?
- Non… Ah si, tu veux parler du système Ech…
- Ah, stop ! Tu ne dois pas dire ce nom-là non plus.
- On nous écoute ?
- Non, car j'ai sauvé la situation à temps. Pourquoi crois-tu qu'ils t'ont donné rendez-vous par écrit et qu'ils t'en ont donné d'autres oralement et pas par téléphone ?
- Pour rester dans la discrétion la plus absolue.
- Voilà, tu as tout compris.
- Tu as pris un risque en m'appelant, alors.
- Bah, ce n'est pas parce qu'il y a des restrictions qu'il faut s'empêcher de féliciter un camarade par téléphone. Tu pars quand ?
- Tu ne le sais pas ?
- Je ne suis pas dans la tête des gens, même si je sais plein de choses. Et en parlant de lire dans les pensées, ce n'est vraiment pas facile de t'appeler. Pourquoi tu as refusé l'Implant ?
- Tu sais bien que je n'aime pas l'idée qu'on me surveille.
- Mais en quoi l'Implant est un outil de surveillance ?
- Je suis étonné que tu ne sois pas au courant. Tu es pourtant dans les coulisses du pouvoir.
- Pour qui tu me prends ? Pour un big brother en herbe ?
- Méfies-toi des puissants de ce monde, c'est tout ce que je te demande.
- Je te trouve bien ingrat avec ceux qui vont t'embaucher. C'est l'idée que François s'occupe de ton nouveau lieu de travail qui te rend méfiant ?
- Depuis qu'il m'a lâcher du ministère après m'avoir presque supplié d'y entrer, je suis plus méfiant à son sujet.
- Ah, c'est un politicien comme un autre. Mais je te comprends.
- Dommage que tu ne m'ai pas soutenu publiquement à l'époque.
- On en a déjà discuté. Tu sais bien que je n'ai pas arrêté de t'appeler depuis ce jour. J'ai même accepté que tu me déranges pendant mon travail.
- Tu vois bien que je te dérangeais…
- Oooh, tu commences à m'énerver, là. Je t'appelle pour te féliciter alors que je suis en pleine préparation du voyage de François à Rome pour l'inauguration de la succursale de l'Organisa… de l'organisme. Et toi, tu m'envoies balader. J'aurais mieux fait de te laisser tomber, tiens ! C'est ce que font tous les hommes politiques…
- Ne t'énerves pas, va ! Excuses-moi, je me suis laissé aller. Je te remercie quand même pour ce que tu as pu faire pour moi… moralement, du moins.
- Bon, c'est pas tout ça, mais j'ai du pain sur la planche.
- Tu seras à Beijing, demain ?
La réponse de son interlocuteur mit un temps.
- C'est demain que tu pars, alors. Et tu as attendu tout ce temps pour répondre à ma question.
- Réponds à la mienne en attendant.
- Non, je serais avec notre Sage à Rome…

Ils s'échangèrent quelques mots encore avant que Carl ne raccroche. Il était 23 heures. Il était temps de repartir chez lui et rester en forme pour les 8 heures de vol qu'il avait à faire…