Cantrix Roseum

Les progrès de la génétique cellulaire étaient exponentiels à cette époque.
Des groupes de recherche privé investissaient des fortunes en vue de produire des végétaux plus merveilleux les un que les autres. Le commerce était florissant, et les cotations en bourses de ces Instituts explosaient les courbes de profits. A cette époque, la mode était à l'écologie locale et individuelle.
On recherchait ardemment la culture personnelle de petits jardins. Les ménages en appartement se dotait de potagers verticaux, les murs des pièces habitables recouverts entièrement de fruits génétiquement modifiées ou de légumes hybrides. On trouvaient des fraises-framboises, des groseilles-abricot, des haricots-choux disposés dans les salons, les chambres à coucher, les WC…Des crocus aux Azalées, des Jacinthes aux Amaryllis, les fleurs avaient également une place prépondérante dans les foyers.
Cela produisait toujours l'émerveillement des convives, et bien souvent une compétition amicale poussait les ménages à se doter des plus beaux ornements comestibles ou esthétiques.
Des légumes prodigieux poussaient dans les jardins, courgettes géantes, carottes de 80 kilos, amalgame de légumes tout-en-un sous forme de courge cubique, l'utilité se mariait à l'art, et à la mode, à une manière de vivre en ses repères sociaux écologiques.

L'institut Rosia produisait des roses, plus merveilleuses les unes que les autres. En 20.. l'accord de la Commission Paritaire sur la Diffusion des Végétaux, ainsi que l'aval de l'INRA International lui permit, de présenter une rose splendide, avec pour le moins des facultés inouïe… à grand renfort de matraquage publicitaire, une soirée spéciale fut organisée, les dirigeants politiques et les grands PDG internationaux ayant prévu un sommet spécial pour cette grande occasion.
La présentation de cette rose se fit dans le cadre d'une diffusion télévisuelle mondiale, regroupant dans un stade plus de 120 000 personnes, monopolisant tout ce que comptait la planète de médias, de sites internet, de journeaux ou de radio… Où que l'on soit, nul ne pouvait prétendre ne pas connaître de nom la Cantrix Roseum…

Sur la scène, le très large rideau plissé se leva lentement, laissant apparaître, un large tronc, vert mordoré, lisse, de peut être un mètre de diamètre, et d'une hauteur d'un mètre cinquante. Le suspense était à son comble, le silence attentif redoublait. Du Président, du ministre, de l'artiste au moindre quidam, la même brillance dans l'œil animait le regard
Puis le lourds rideau plissé se levant cette fois rapidement, il découvrit une rose bleue turquoise immense, posée sur son tronc mordoré et qui déployait majestueusement ses pétales sur peut être deux mètres de circonférence…
Le public resta subjugué. Les commentateurs, d'abord silencieux, ne tarissaient plus déloges et de commentaires admiratifs. On applaudissait, on sifflait, les murmures graves se transformaient en brouhaha dense et profond, on était admiratif, et les hochement de tête répondaient aux moues d'approbation, on souriait en montrant la paume devant ses interlocuteurs…
Soudain, une petite sonorité se fit entendre dans les aigus les plus hauts… le silence se fit interloqué, et la foule regarda dans la même direction vers la scène éclairée, pointant sur la Cantrix Roseum si tant admirée. Une deuxième note… un Si bémol très aigu roucoulait presque…Aussi incroyable que cela parût, la Rose chantait !
Puis un chant, un véritable chant de notes en crescendo submergea la foule ébahie, ni trop intense ni trop faible et résonna comme impossible dans le stade. Les sonorités s'adressant à l'âme, les sourds entendaient également le requiem végétal. C'était une merveille, un chant que l'ont eut rapproché des baleines mais avec un timbre mélodieux rythmique et une tonalité couvrant toutes les tonalités, une résonance et un vibrato qui transperçait la quintessence de l'individu, qui traversait les corps, qui chavirait les sensations pour un naufrage vers une émotion jusque là jamais éprouvée.

« L'appel des sirènes » dit un commentateur, « un hymne à l'Humanité » en dit un autre,
la foule du stade de 120 milles personnes et les milliards de téléspectateurs chez eux, avaient des larmes qui coulaient sur les joues, le cœur déchiré par l'envoûtement indicible de la Cantrix Roseum, des pleurs mêlés à une joie infinie, distordant toutes valeurs connues et dont le paradoxe insoluble bouleversait à n'en plus finir…
Plus tard, sans que l'on compte vraiment le temps, le rideau s'abaissa sur la scène. La présentation, fut une représentation, le public restait figé, enraciné dans l'émotion et les larmes de béatitude, dans un silence et une légèreté divine. Dans ce silence prodigieux, le stade se vida coulant lentement de ses spectateurs, les postes de télévisions s'éteignirent et partout dans le monde, la vision de ces foules en marrée jusqu'à l'horizon, avec encore les larmes aux yeux, le chant de la Cantrix Roseum raisonnant dans leurs âmes.

Ce fut l'évènement mondial le plus important du millénaire.
La production des Cantrix Roseum de différentes tailles, ne suivait pas la demande tant on en désirait une chez soit. A la maison, elle faisait parti de la famille, mieux, c'était elle qui daignait offrir sa présence au sein des foyers, des entreprises. Puis vint le temps où chaque ménage, chaque prison, chaque bureau, chaque maison, chaque individu côtoyaient la Cantrix Roseum presque en permanence. On en disposa dans les parcs, dans les squares, à chaque coin de rue… Il y en avait partout, parfois plus hautes que des immeubles dans chaque ville et sur toute la planète.

L'Humanité se transforma peu à peu… on voyait des foules entières au pieds des plus grandes roses, caresser les troncs immenses, pleurer en communion à genoux, executer des danses lentes improvisées. Des individus se roulaient hirsutes sur le sol, d'autres entièrement nu allaient et venaient comme aliénés. Certains ne mangeaient plus, d'autres immobiles ne pensait plus… le laisser-aller était endémique ; Paris New York, Tokyo, avaient été ravagés par les flammes, et ce n'était que le commencement. Des immondices partout, des enfants errants, des fous se suicidant en public, des gens qui hurlaient en se projetant sur les murs…La vie sociale se désagrégeât à une vitesse fulgurante. Les cadavres jonchaient abandonnés dans les rues, les épidémies abattaient en masse les individus béats et agglutinés. Nuls ne fut épargné par la beauté du chant qui faisait mourir.

Vint le temps où le chant des Cantrix Roseum changeât. Les quelques rares personnes encore saine d'esprit, comprirent qu'elles communiquaient toutes entre elles. Dans le dernier chant mélodieux qu'elles diffusèrent avant le chao d'une l'Humanité à bout de souffle, on entendait dans toutes les langues le même refrain « gare à la nature que les natures égarent »… « gare à la nature que les natures égarent »…