Le duo Humain et Robot révélé !

Prise d'un vertige holographique qui fit vaciller un instant sa raison, Sibylle bascula la tête en avant et désactiva ainsi le rayon de connexion à son boîtier culturel. D'un geste vif, elle fit tourner l'écran pour que son regard fuit ce qu'elle venait de voir et qui lui avait semblé être l'ombre d'un visage masculin... A cet instant, elle refusait d'en savoir plus. Elle s'éloigna de son précepteur attitré, en proie à une sourde angoisse qu'elle n'avait plus éprouvée depuis plusieurs vies...

Elle se pressait les mains et faisait les cent pieds dans l'appartement circulaire, qu'elle occupait depuis au moins deux siècles déjà... Il fallait absolument qu'elle évite de laisser jaillir son liquide lacrymal. Depuis qu'elle avait échappé aux troupes de surface chargées de faire refluer ceux qui tentaient de franchir les installations de migration, et que, épinglée par l'un des robots de veille, il l'avait contrainte à regarder le soleil sans écran, elle ne pouvait plus se permettre de pleurer sans qu'une insoutenable brûlure vienne lui strier et boursoufler les joues ! Par précaution, elle se glissa dans le sas d'hygiène et s'enduisit le visage d'une crème protectrice de synthèse contre les rayons gamma. Ses joues épaississaient curieusement mais au moins, elle pouvait se laisser aller à ses émotions !

Apaisée et amusée par sa nouvelle plastique, Sibylle s'allongea et regarda passivement au plafond, le défilé des images du Musée des connections moyenâgeuses, les seules disponibles et diffusées en boucle par le Pouvoir Décisif Visuel. Courte distraction toutefois, car ce qu'elle pressentait depuis longtemps revenait sans cesse à son esprit. "Ils sont deux... Ils sont deux... Mais qui est l'autre robot ?" Son écran-précepteur avait dit en dernier "Je suis ton unique superpartenaire". Il avait martelé les mots dans son mental avec une telle pression qu'elle en avait éprouvé la nausée et ce curieux vertige. Mais pourquoi le robot s'était-il subitement conduit de la sorte?

Tout à coup attirée par des bribes de l'émission du Musée, elle pressa longuement le sol de sa paume gauche et se cala confortablement dans l'airderdon qu'elle venait de gonfler. Elle cria "Trois" et le son de l'émission s'amplifia légèrement :
"Il y a plus de 300 ans, la théorie des superpartenaires a été développée par quelques physiciens de l'époque. Elle a étendu ses ramifications sur toutes les toiles du monde mental. Certains génies des sciences et arts traditionnels avaient tenté la création matérielle de ces superpartenaires, en leur donnant une connotation visuelle. Il n'était pas rare d'en lire des évocations romancées ou poétiques et d'en voir des dessins sur tous les supports du Moyen-Age technologique, papier, carton, pierre, arbres, miroirs, matières plastifiées synthétiques et même parfois, sur des peaux d'animaux massacrés.

Et au début du XXIème siècle, un chercheur indépendant, Varuna, qui exerçait ses talents à l'Ouest d'un petit pays à demi cerné par les eaux de l'hémisphère Nord, avait mis au point ce que nos ancêtres nommaient "un logiciel". Il s'agissait d'un codage algorithmique original, effectué au moyen de l'écriture de chiffres et de lettres se succédant ou se superposant, selon un ordre et un rythme empruntés à ceux des particules liées. Ce "logiciel" permettait d'entrer en communication avec ce que nos ancêtres appelaient "ordi", parfois "ordinateur", le plus souvent "pécé". Les histoniriciens nous ont révélé que ce terme était issu d'un sigle utilisé pour désigner leurs boîtiers culturels de 3ème génération. Ce terme était principalement en usage chez les peuples décadents de l'Ouest de notre planète.

Donc, à cette époque là, les boîtiers à dialogue agissaient uniquement sur commande humaine. Aucun n'était autonome comme les nôtres et par conséquent, ne pouvait émettre une information sans qu'un humain pilote ce qu'il nommait "mon pécé", appareil lui permettant d'établir de multiples connections et de communiquer ainsi avec d'autres humains exclusivement. Cet instrument appartenait à leur vie quotidienne, un peu comme nos boîtiers culturels. Nos ancêtres s'en servaient toute la journée, pendant leurs heures de dépendance obligatoire qu'ils nommaient "travail", leurs jeux, parfois pour choisir des partenaires d'accouplement ou de vie et probablement, optimiser ainsi la qualité de leur descendance....."

Le flot des paroles et des images était intarissable, fatigant. Sibylle cria "Vacances", la voix se tût et des images de paysages féeriques continuèrent à danser au plafond.

"Début du XXIème siècle, je venais à peine d'être déclarée vivante !", pensa t-elle. Elle pressa l'airdendon pour le ranger dans le sol et s'enferma à nouveau dans le sas hygiénique. Elle retira sa combinaison, le masque de son visage et se glissa sous la douche d'air dynamisant ! Elle se sentait un peu asséchée et entreprit de mâchonner l'éponge d'hydratation pendant qu'elle se prélassait sous l'air frais.

Soudain, elle quitta le sas et enfila sa combinaison de détente. Une émotion qu'elle éprouvait pour la première fois lui donnait le courage d'affronter le visage énigmatique de l'écran-précepteur. Elle le fit pivoter et dit "Je suis là, poursuivons nos leçons de vie". En guise de réponse, elle obtint le même défilé d'images qu'au plafond, couvert par un son aérien qu'elle avait du mal à identifier comme étant un rire, tellement son enfance était ancienne ! Elle fixa son mental en détournant les yeux afin de ne pas subir l'influence miroir des images. Elle concentra son attention sur le son. Une voix claire, bien plus douce que toutes celles entendues lors de toutes les émissions de son boîtier à dialogue s'adressait à elle en la nommant par son nom unique "Sibylle, Sibylle, Sibylle, Sibylle, Sibylle... ".

Elle crut qu'elle avait à nouveau sombré dans l'un de ces vertiges holographiques où la réalité était curieusement déformée. La voix devenait plus forte. Elle se ressaisit et vint se blottir contre l'écran du boîtier et observa. Le visage d'un homme jeune prit forme et s'adressa à elle "Sibylle, je suis ton superpartenaire !".

Elle recula, craignant à nouveau un dérapage verbal du robot enseignant.
Comment un robot pouvait-il avoir ce visage et tenir ces propos ? Elle posa la question au boîtier.

"Je ne suis pas un robot ! Mon nom unique est Varuna et je pilote ce boîtier depuis toujours...
Sibylle, tu as toujours été mon élève préférée. En 2001, lorsque tu as été déclarée vivante, ton concepteur m'a chargé de mettre au point ton éducation par boîtier.
Effectivement, mon meilleur robot exécutait les programmes car je ne pouvais être présent en permanence dans ton écran, surtout que tu es une élève très curieuse et exigeante, de jour comme de nuit, et pour toutes sortes de causes. Mais je veillais à ta progression et je modulais l'enseignement selon ta perception !
Pour les leçons de sensibilité mentale et physique, j'ai tenu à être là, après avoir pris soin de transformer mon apparence afin que tu ne te doutes de rien.
Ainsi, Sibylle tu es devenue ma parfaite superpartenaire et je suis ton superpartenaire aussi, puisque j'ai sculpté ton mental. A aucun moment, nous ne pourrons nous nuire, comme ceux qui n'ont pas reçu ce genre d'éducation, puisque j'ai nourri ton esprit au mien et pétri le mien selon tes particularités aussi. Je n'ai conservé que des écarts minimes et sans conséquence, ils émailleront notre superliaison pour nous distraire et nous surprendre.

Maintenant et ce, malgré l'absolue interdiction de te révéler cette réalité et le risque de subir le rappel ultime du Pouvoir Décisif Total, je te donne connaissance des faits car je souhaite te rejoindre dans la réalité. Il me faudra traverser le tunnel sous le glacier océanien et m'enfoncer vers les montagnes où tes ancêtres s'étaient retirés au début de la glaciation. Ne crains rien, je connais parfaitement les points de tes coordonnées spacio-temporelles. Ne change rien jusqu'à mon arrivée. J'ai programmé le robot pour continuer la diffusion de l'enseignement. Sois très attentive, lui seul te précisera l'avancée du voyage de réunion."

Alors, dans un sourire, le visage se figea sur l'écran et laissa place à l'ouverture d'une fleur blanche.
Sibylle éprouva des sensations inconnues, décrites au cours des leçons du "robot". Elle s'allongea au sol et y plaqua ses deux paumes et martela légèrement. Un matelas couvert de tissus moelleux prit forme et elle s'y enfouit. "Varuna, Varuna...". Elle lui abandonna son mental. Varuna était aussi le programmeur de ses rêves.