La paix

La désolation terrestre était totale.

L'arme nucléaire avait été utilisée par les deux camps ennemis, cela ne pouvait certes être dissimulé.

Mais ce que leurs états généraux avaient tu aux populations, était, lors des révoltes de leurs propres populations, l'usage sporadique et ciblé selon la nature des révoltes et la situation géographique des territoires rebelles, d'armes bactério-chimiques et de la très nouvelle et très puissante arme à énergie dirigée.

Absolument tous les laboratoires avaient été réquisitionnés et "coupés du monde" pour développer et produire massivement les armes bactério-chimiques et bien entendu, leurs antidotes, au cas où des membres privilégiés des états généraux des nations seraient accidentellement atteints.

Dans un premier temps, des pandémies inexpliquées (officiellement) atteignaient des régions entières des deux camps, hommes et animaux, mais aussi et de manière inattendue, la plupart des végétaux. On parla de "grippe végétale". Elle se manifestait seulement quelques heures après le passage de nuages bleu/vert /orange dont la couleur inhabituelle intriguait les populations. Ces nuages déversaient, entre autres, des quantités hors norme de poussière de plomb. Ils envahissaient régulièrement le ciel des régions rebelles et au sol, la mort se répandait.

Toutefois, les conifères et généralement toute la végétation à feuillage persistant résistaient plutôt bien à ces infections. Il fut observé une augmentation significative de production de leur sève. Elle se transformait rapidement en coulées inondant leur écorce et leur périmètre terrestre, suivies d'une vitrification quasi immédiate de la sève. Il semblait que ces végétaux résistaient ainsi en se plongeant dans une "hibernation" protectrice. Les autres végétaux furent très vite recouverts de poussière grisâtre, les feuilles, les plantes se recroquevillaient avant de tomber en poussière. Certaines matières jusque là classées parmi les "minéraux" périrent aussi de cette même manière.

Selon leur conformation, les animaux s'éteignaient quasi immédiatement ou résistaient.

Parmi eux, les tortues terrestres, les taupes, les lapins s'enterrèrent. Tous les animaux dotés d'une capacité d'hibernation se regroupèrent dans les quelques endroits les mieux préservés de la nature et se placèrent en mode "off". Bien entendu, les animaux dits "domestiques" périrent en masse. Leur survie dépendait de l'empathie des humains qui les "détenaient". Or, ces humains était si préoccupés par leur propre survie qu'ils en oubliaient presque systématiquement celle de leurs proches compagnons. Certains humains fuirent, se laissant guider par les animaux dits "sauvages" auxquels ils firent confiance, puisqu'eux-mêmes, depuis très longtemps, avaient oublié leur lien à la nature et perdu leur "boussole" interne. Dans les deux camps de guerre, des hordes d'animaux suivis d'humains émigrèrent à la recherche d'espaces vitaux non contaminés, se regroupèrent et s' installèrent en organisant des schémas sociaux fondés sur le respect mutuel et l'harmonie globale. Certains humains et animaux semblaient soutenir les autres et apporter la sérénité. Par nécessité de discrétion, le silence régnait dans ces lieux, favorisant la méditation spontanée.

Dans les mégapoles et toutes les villes, le sort et la guérison des populations contaminées dépendait de la réussite du projet "Résistance", mis en œuvre par des personnes saines, venues de régions non contaminées. Grâce à la complicité de membres internes, les "Repentis", les résistants purent envahirent les laboratoires et se munir des médicaments et appareillages de survie prévus dans le plan "Antidote". Ils dérobèrent les vaccins anti-contamination avancée, les vaporisateurs à étanchéité totale (vaporisation d'une pellicule de diamant destinée à contrer universellement tous les produits toxiques) et tous les gilets de survie intégrale qu'ils trouvèrent.

Ce gilet de survie ressemblait à une carapace de tortue et se portait comme une coquille emboîtée sur la moitié supérieure du corps. L'essentiel en était un casque intégré en diamant noir réfracteur d'énergie. Ce casque était muni de lunettes à vision infrarouge, de filtres audio-visuels et purificateurs d'atmosphère, de manière à ce que tous les orifices du crâne humain soient préservés de toute contamination ou toute agression. Les filtres purificateurs étaient respectivement reliés à un tube et deux poumons artificiels mous, fixés à l'intérieur du gilet, côté dos. Ils traitaient l'air avant qu'il n'atteigne les poumons humains. Ces poumons artificiels étaient eux-mêmes branchés à un tube dorsal mou, maintenu rigide par des cerceaux de diamant, le tout inséré dans la carapace et relié au casque duquel provenait le "pilotage" du fonctionnement. Ce tube imposant aspirait l'air de l'atmosphère à intervalle régulier. Un tuyau filigrane protégé sous ce tube extérieur principal captait les sons et les acheminait vers les filtres auditifs.

Les rebelles endossèrent ces gilets et furent ainsi prémunis de toutes les agressions possibles. Ils entreprirent alors de faire évacuer les populations contaminées vers des régions les plus saines de la planète, après les avoir vaccinées. Alors, les états généraux des deux camps, inquiétés par la puissance de ces rébellions, source de force et de pouvoir inattendus chez leur adversaire, usèrent des armes à énergie dirigée. Bien qu'ignoraient la portée exacte de son action, elle était devenue leur ultime arme de toute-puissance, puisque ils n'avaient pas pu triompher avec l'arme nucléaire. De plus, cela leur donnait l'opportunité inespérée de la tester.

De concert, les armées des deux camps actionnèrent un à un les champs d'armes à énergie et ciblèrent les "Mutins", y compris ceux de leur camp. Car maintenant, l'ennemi n'était plus l'autre camp, mais le "Mutin" qui organisait l'Unité Paisible des Créatures de la Nature, premier mouvement terrestre respectueux de la Vie. Parmi les rebelles qui n'avaient pas la chance de posséder le gilet intégral de survie, certains furent saisis de comportement agressifs et entreprirent d'assassiner les "appareillés" en détruisant leurs gilets de survie, d'autres tombèrent en transes extatiques, inhibant toute volonté, d'autres devinrent absolument amnésiques et errèrent jusqu'à se rendre dans les régions contaminées.

Les seuls êtres qui survécurent à la troisième guerre mondiale déclarée furent ceux qui avaient suivi les animaux dits "sauvages". Il s'étaient organisés et vivaient dans la nature, dans des cercles tapissés et tendus de lianes végétales maintenues par des branches soigneusement retirées aux pins complices de leur survie. Leur habitude du silence et de la méditation les avaient rendus maîtres de leur corps et de leur esprit. Ainsi, peu de nourriture leur suffisait. Ils pilaient des minéraux et alimentaient leur corps et ceux des "animaux sauvages" devenus leurs compagnons. Ils faisaient remonter l'eau profondément enfouie au creux de la terre pour s'abreuver, mais aucune source ne demeurait à la surface.

Et de génération en génération, l'être humain évolua jusqu'à devenir "l'Homme" générateur de Vie.