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Une scène de la vie d'entreprise dans un futur relatif

 

 

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Un homme au crâne poli analyse les résultats des ventes du mois dernier. Patrick est chef d’ entreprise. Il dirige une société fabriquant divers outils de bricolage. Les chiffres qu’ il découvre sont moins mauvais qu’ il ne l’ a imaginé. Est-ce le résultat d’ un retournement de conjoncture économique ? Une communication plus efficace ? Une prouesse des vendeurs ? Il lui semble trop tôt pour en déduire quoi que ce soit.

Alors qu’ il vérifie certains chiffres, une alerte résonne doucement dans son crâne. Il n’ y prend pas garde et continue sa lecture.

Trente seconde plus tard, une autre alerte se fait entendre. Il n’ a pas le temps de s'occuper des deux messages qui sont apparus et s’ agace d’ être dérangé ainsi. Bientôt, d’ autres alertes font leur apparition. Il commence à regretter d’ avoir investi dans les implants.

Il y a 50 ans, une avancée majeure dans la nanotechnologie a permis d’ implanter facilement, sans intervention chirurgicale, n’ importe quel implant, médicament ou matériel biologique dans une ou plusieurs zones précises du corps. Une simple injection dans le sang suffit à l’ implantation. La nanomachine se loge ensuite dans la zone souhaitée pour y introduire le produit désiré.

30 ans plus tard, les premiers implants cérébraux connectés, voués à remplacer les bons vieux smartphones, sont sortis des usines de la firme « Google ». Très vite, les entreprises de télécommunication ont sorti leurs modèles. Par la simple pensée, on peut consulter ses courriels et ses messages dans les réseaux sociaux, appeler un ami ou faire une recherche Internet. Selon la volonté de l’ utilisateur, les images et vidéos peuvent soit être vues en panoramique en fermant simplement les yeux (certaines personnes ont ainsi l’ impression que les paupières servent d’ écran sur lequel le film se projette), soit n’ être observables que sur un oeil. Certains paramètrent même la vision d’ une vidéo en vue panoramique, horizontalement. Le bas de la vision projette la vidéo, le haut, ce qu’ ils peuvent voir dans la réalité. Cette dernière fonction a disparu des nouvelles versions des applications de l’ implant, jugée trop dangereuse dans la vie de tous les jours et perturbant à terme les nerfs optiques.

Il y a trois mois, Patrick a annoncé à ses collaborateurs qu’ ils bénéficieraient de l’ application « direct pro » que toute entreprise moderne digne de ce nom possède. Cette application s’ installe sans difficulté dans les implants de chacun. Elle permet aux membres du personnel de communiquer rapidement par la pensée, sans interférences par des utilisateurs extérieurs à l’ entreprise. Elle permet également à un employeur d’ être averti en temps réel des demandes d’ entretien par un de ses collaborateurs, des rendez-vous demandés par un client ou des dysfonctionnements internes. A chacun de ces dysfonctionnements, un message est envoyé à l’ implant du dirigeant. Chacun peut choisir la musique ou le son qui sert d’ alerte sonore. Patrick a choisi une scène du film Taxi dans laquelle le commissaire Gibert crie son célèbre « ALERTE GENERAAAAAAAL !  ».

Dans les minutes qui ont suivi, le nombre « d’ alerte général » l’ empêchent de se concentrer. Il pense à couper la communication. Le silence revient, salvateur.

30 minutes plus tard, sa lecture et son analyse terminées, il reconnecte son implant et lit les messages qui lui sont arrivés. Une vingtaine se sont manifestés cette dernière demi-heure. 18 concernent des dysfonctionnements, un concerne une demande de rendez-vous d’ un client et un dernier message vient de son assistante lui rappelant la venue dans l’ heure qui vient du directeur général d’ une franchise d’ un grand magasin de bricolage.

En ouvrant le premier message d’ alerte, il tombe sur une vidéo à vue subjective d’ un cadre demandant à son collaborateur de demander à l’ agent d’ accueil de régler un problème informatique. Patrick sait que cette directive est mauvaise et constitue un dysfonctionnement dans la procédure. Les problèmes informatiques ont été gérés par l’ agent d’ accueil durant 5 ans jusqu’ à l’ embauche d’ un jeune en contrat aidé, il y a deux semaines. Le cadre en question est resté sur ses anciens réflexes. Il rédige une recommandation par la pensée afin de régler le problème et l’ envoie au cadre fautif.

Au fur et à mesure qu’ il consulte les messages et compulse des recommandations, d’ autres alertes font leur apparition, toutes des alertes de dysfonctionnements. Au total, une quarantaine d’ entre eux ont eu lieu en moins d’ une heure.

Agacé, il convoque le cadre qui est responsable de la moitié des dysfonctionnements.

A l’ autre bout de l’ immeuble, le gestionnaire échange avec un comptable du projet d’ installation d’ une application téléchargeable sur l’ implant permettant de calculer instantanément plusieurs opérations comptables à la seconde. Les applications comptables actuelles ne permettent de ne faire qu’ une seule opération à la fois. Il suffit de penser aux chiffres que l’ on a sous les yeux en faisant mentalement l’ opération et l’ application, qui n’ est en fait qu’ une calculatrice virtuelle, donne instantanément le résultat. Avec cette nouvelle application, une simple lecture de l’ ensemble d’ un tableau comptable permet de calculer instantanément le résultat final.

Soudain, le gestionnaire entend dans son crâne la chanson des charlots « Merci patron ». Il arrête son entretien, demande au comptable de réfléchir à sa proposition et quitte son bureau en même temps que son collaborateur.

Au bout d’ une minute de marche, les couloirs du bâtiment sont immenses, il toque à la porte du dirigeant, nerveux.

- Entre, Benoit, entre, répond Patrick.

Le cadre s’ installe en face de son supérieur. Ce dernier semble réfléchir. Il est en réalité en train de rédiger une note de service, qu’ il envoie ensuite à son assistante pour diffusion à l’ ensemble du personnel. La tâche terminée, il déconnecte la communication.

- Tu es déconnecté ?

Le gestionnaire regarde sur sa gauche un instant avant de rediriger son regard vers son vis-à-vis.

- C’ est fait, répond-il.
- Bien. Maintenant que nous sommes tranquilles, nous allons pouvoir régler ensemble les différents problèmes que j’ ai remarqué depuis quelques heures…

Sans s’ énerver, le dirigeant fait la liste des mauvaises décisions prises par le cadre, il lui rappelle ensuite la procédure pour chacune des tâches et finit par lui rappeler la philosophie qui doit lui dicter les bonnes décisions à prendre.

- Pour cette fois, je passe l’ éponge, indique le chef d’ entreprise. Mais si tu m’ obliges à te convoquer à nouveau pour cela, ce sera un avertissement direct. Nous sommes d’ accord ?
- Oui, tout à fait.
- Bien.

La voix d’ Yves Montand résonne soudain dans la tête de Patrick. Il s’ agit d’ une scène du film « La folie des grandeurs » durant laquelle le valet de Louis De Funès tente de réveiller son patron en remuant des pièces d’ or tout en répétant « Il est l’ oooooor, mon seignoooooor ». Son assistante a utilisé la fonction appel d’ urgence afin qu’ il soit prévenu, malgré la mise en veille de son implant.

- Je dois te laisser. M. Bertranne est arrivé.

Le gestionnaire se lève prestement, il ne veut pour rien au monde rester une minute de plus pour se faire tirer les oreilles.

Après avoir salué son collaborateur, Patrick reste seul dans son bureau. Il informe son assistante par la pensée qu’ il viendra accueillir son client dans une minute.

L’ entrepreneur déconnecte son implant. Il a besoin de se retrouver seul, face à lui-même. Il repense aux formidables gains de productivité engendrés grâce à l’ arrivée de l’ implant, trente ans plus tôt. Le travail peut être accompli à la vitesse de la pensée et jamais l’ Homme n’ a eu autant de réactivité potentielle, concurrençant même les robots récemment entrés dans le marché du travail.

Malheureusement, cette technologie a son lot de nocivité. Le fait d’ être connecté 24h/24 est mauvais pour la santé mentale. Il se souvient d’ une étude démontrant le lien entre l’ introduction de l’ implant et l’ augmentation inquiétante des burn-out depuis les dernières décennies. Cette proportion est, d’ ailleurs, supérieure à celle qui a été révélée à l’ époque des smartphones, période durant laquelle est née le terme de burn-out, qui désigne le syndrome d’ épuisement professionnel, le différenciant ainsi de la simple dépression. Il dut reconnaître qu’ il lui arrive de temps en temps de couper la télécommunication afin de maintenir un certain équilibre avec sa vie privée.

Il a lu récemment une autre étude faite, cette fois-ci, sur les dangers des ondes électro-magnétiques des implants sur le cerveau. Les chercheurs ont remarqué que le nombre d’ apparition des tumeurs a dangereusement augmenté ces 20 dernières années. Malgré le fait que les progrès phénoménaux dans la recherche médicale ont permis de guérir 90% des malades du cancer du cerveau, les médecins réclament que l’ on change de technologie, voir que l’ on mette fin à l’ utilisation des implants. Ils estiment que la quasi-totalité des cas auraient pu être évité sans les implants. Pour des raisons de santé publique, certains médecins essayent de faire pression sur le Ministre de la santé afin qu’ il interdise l’ utilisation de cette technologie.

Jusqu’ à présent, les pouvoirs publics n’ ont pas bougé le petit doigt en raison des conséquences économiques non négligeables et en raison du fait que seul 1% des utilisateurs des implants développent une tumeur cancéreuse. Une troisième raison, la plus importante pour les politiciens, est que 60% des français ne veulent pas se séparer de leur outil de télécommunication préféré.

Le cri du commissaire Gibert le sort de ses pensées. Il se décide à sortir de son bureau.

Avant de retrouver son client à la cafétéria, accompagné de son assistante, il songe qu’ avec une seule chance sur cent de devenir gravement malade, il peut se permettre de continuer ainsi.

Le sourire radieux de son client achève de le convaincre qu’ il a raison.
 

 

  
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