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Equation de projection économique

 

 

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Quentin entra dans la maison familiale. Il reconnut le parfum d’ arômes fruités de son enfance. En ouvrant les volets, il reconnut la verdure du jardin et l’ éclat du soleil à proximité d’ un gigantesque sapin - le sapin du jardin - au milieu du ciel bleu. Un merle venait de quitter l’ arbre gigantesque pour se poser sur l’ herbe à la recherche d’ un hypothétique vers grouillant au sol.

Il se retourna vers l’ intérieur et observa les alentours.

Sa mère était décédée depuis quelques semaines. Le notaire lui avait annoncé qu’ il héritait de sa maison entourée de mille mètres carrés de terrain dans l’ extrême ouest de la France. En arpentant les pièces de la demeure, qui pour chacune évoquait une multitude de souvenirs, il se demandait s’ il pouvait continuer de l’ entretenir, lui qui travaillait à Paris, à plus de 600 kilomètres de là. Il viendrait sûrement s’ y rendre durant ses congés et tenterait même d’ y venir durant les longs week-end de ponts.

Alors qu’ il arrivait au grenier, il reconnut certains jouets et objets de ses grands-parents et arrières-grands-parents. Ces choses d’ un autre siècle l’ avaient toujours fascinées.

Après une demi-heure de recherches, sans autre but que de faire resurgir des moments heureux de son passé, il découvrit une épaisse chemise à sangle dont les inscriptions sur l’ étiquette de la page de garde était en partie effacée. Il lut « L’ é… ation ultim… pro… ectio… économi… ues ». Il lui semblait n’ avoir jamais vu ce classeur jusqu’ à ce jour. En déliant la sangle qui reliait le porte-document, il vit plusieurs pages sur lesquelles étaient collés des bouts d’ articles relatant certaines informations liées à l’ économie mondiale. En haut d’ une page était inscrit: « Indicateurs 09/07 ». Les articles liés à cette page reprenaient certaines phrases, voir uniquement certains chiffres collées les uns à côté des autres et reliés entre eux par des flèches tracées au crayon de papier.

En explorant davantage le classeur, il découvrit un plan, une sorte de mip-mapping, indiquant des indicateurs économiques reliés à des grands ensemble nommés « expansion économique » et « récession économique » qui eux-mêmes étaient reliés à des découvertes scientifiques, avancées technologiques, des changements politiques et sociétales. Sur d’ autres pages, ces mutations économico-scientifico-politico-sociales semblaient être appliquées à l’ Histoire des peuples mondiaux sur plusieurs décennies, siècles et millénaires.

Il ne comprenait pas quelles étaient les raisons de toutes ces collectes d’ informations et de tous ces croquis. En revenant sur la première page, il aperçut quelques chose collée sur le revers en carton de la chemise à sangle. Il s’ agissait d’ une clé USB à l’ intérieur d’ un petit sac de congélation plastique hermétique à fermeture zip. En ouvrant le sac, il ne vit aucune inscription ou étiquette permettant de savoir ce qu’ elle contenait.

Piqué par une vive curiosité, il s’ empressa de courir vers sa voiture, trouva le cordon USB de son smartphone, sortit son appareil avant de le connecter à la clé via son cordon. Son téléphone téléchargea sans problème le pilote de la clef et put lire son contenu. Sept dossiers et un fichier peuplaient le petit support de stockage amovible. Les intitulés des dossiers étaient « Economie », « Science », « Technologie », « Politique », « Société », « Corrélations historiques » et « Equation ultime ». Quentin ouvrit le fichier qui s’ intitulait « Sommaire ».

Les sept premiers index reprenaient les intitulés des dossiers. Ces index pouvaient être déployés en sous-index grâce à un petit signe « + » qui eux-mêmes pouvaient être ouverts en sous-index, etc. L’ arborescence du sommaire était très précis et s’ allongeait de manière tentaculaire. Il s’ aperçut également que chaque intitulé pouvait être ouvert en cliquant dessus, comme un lien. Chaque lien ouvrait sur un contenu d’ un dossier dans lequel apparaissait un ou plusieurs fichiers et d’ autres sous-dossiers.

Après avoir examiné le sommaire durant quelques minutes, il aperçut un sous-index dans le thème « Economie » qui l’ interpella. Il ouvrit le lien qui l’ amena à un fichier texte. En lisant les premiers mots, il sentit son c½ur se serrer.

« Mon cher Tintin,

Oui, je sais, tu n’ aimes pas ce surnom que je t’ ai donné depuis ton plus jeune âge, mais je n’ en ai cure, car si tu lis ce message, cela signifie que je ne suis plus de ce monde. Donc, je dis ce que je veux. »

Il reconnut le style de son père.

« Mais trêve de plaisanterie. Ce que je vais te révéler est un secret de famille.

Il y a un peu moins d’ un siècle (71 ans, au moment où j’ écris ces mots), ta grand-tante, ma tante, avait acquis la conviction que les périodes d’ expansions et de récessions économiques pouvaient être prévisibles via les mathématiques. Selon elle, si l’ on pouvait prévoir ces cycles conjoncturels, il serait possible de prévoir les cycles structurels de prospérités et de dépressions économiques. Le court terme permettrait d’ envisager le long terme. Si un tel outil existait, il permettrait aux pouvoirs publics d’ anticiper les changements et de prendre de meilleures décisions afin d’ atténuer les effets socio-économiques des crises économiques et de les amplifier dans la situation inverse.

Depuis des siècles, des économistes, scientifiques et statisticiens ont proposé des cycles de durées diverses et variées s’ expliquant par différents événements économiques, scientifiques, financiers, politiques, historiques ou psychologiques. Leurs théories ont permis d’ expliquer les événements passés mais aucun n’ a pu proposer un modèle permettant de les prévoir avec exactitude. Voilà ce que ta grand-tante avait en tête: trouver l’ équation permettant de prévoir avec une précision inégalée les futures phases économiques. »

Projet ambitieux, pensa Quentin.

« Toute sa vie, jusqu’ à son dernier souffle, elle notait chaque indicateur nouveau en économie, en sciences et techniques ainsi que les événements politiques et sociaux dans le monde. Ce projet était devenue une telle obsession, qu’ elle finit par abandonner ses études d’ astrophysique (eh oui, elle voulait faire le même métier que toi au départ) pour devenir statisticienne. Au fil des années, elle finit par réussir à récolter un maximum d’ informations grâce à des sources variées en s’ abonnant à certaines revues spécialisées dans les cinq premiers domaines que tu as dû trouvé en index du sommaire. Vers la fin de sa vie, elle compléta ses informations via Internet en consultant les sites officiels de certaines institutions comme le FMI, l’ OCDE, l’ INSEE, etc. »

C’ est bizarre, ça me rappelle quelqu’ un, pensa Quentin.

« Comme tu dois t’ en douter, j’ ai moi-même attrapé le virus. Je ne me suis réellement intéressé à ses travaux qu’ à la fin de sa vie lorsqu’ elle ne pouvait plus retranscrire les nouvelles données qui continuaient inlassablement de tomber. Tous les soirs, sur son lit d’ hôpital, je lui lisais les différentes informations que j’ avais glaner. Pendant qu’ elle écoutait et analysait ces informations, elle oubliait la maladie. L’ obsession était devenue une distraction. Les chaînes d’ informations continues berçaient ses jours comme ses nuits.

J’ étais très proche de Tata Marraine (c’ est comme cela que je l’ appelais car j’ étais aussi son filleul). Tes grands-parents, ton oncle et ses amis proches lui ont également rendus visites, mais je pense que chacune de mes venues l’ exaltaient plus chaque jour. Elle m’ a toujours considéré comme le fils qu’ elle n’ a pas eu. Peu d’ hommes ayant pu rivaliser avec le tourbillon des chiffres et de l’ actualité, elle était, en effet, restée célibataire.

Je suis bien obligé d’ admettre que pendant quelques années, j’ ai failli prendre le même chemin. Au début, ta mère comprenait mon engagement à divertir ma tante. Mais après sa mort, elle commençait à me reprocher mes moments d’ absences, non pas physiques, car je rentrais tous les soirs à la maison après le travail, mais mentales. Je passais des heures à lire des journaux, revues, articles sur Internet à la quête d’ indicateurs et d’ événements mondiaux.

Jusqu’ au jour où ta mère est partie avec toi, un soir, alors que je n’ avais travaillé que deux heures sur les dernières actualités (il n’ y avait pas beaucoup d’ événements marquants, ni d’ indicateurs ce jour-là). Je n’ avais même pas entendu le remue-ménage de son départ, ni tes pleurs au moment de partir. J’ avais compris à ce moment-là que j’ étais allé trop loin. Cette histoire m’ accaparait de plus en plus et empiétait sur ma vie privée. Je n’ étais plus aussi concentré dans mon travail et je faisais de nombreuses erreurs de calculs. Si je continuais ainsi, je finirais par perdre pour de bon ma femme et mon fils ainsi que mon travail de mathématicien. »

Je m’ en souviens, pensa Quentin. Enfin, je m’ en souviens grâce à maman. Il faut dire que je n’ avais que 5 ans à l’ époque.

« Il fallait que je me ressaisisse et que je passe moins de temps à collecter toutes ces informations. C’ est pourquoi j’ ai pensé qu’ il fallait qu’ un ordinateur fasse le travail à ma place, me laissant plus de temps libre pour moi et mes proches. Avec l’ aide d’ un ami informaticien, j’ ai créé un logiciel-pisteur qui avait pour principal fonction de rechercher via Internet toutes les informations dont j’ avais besoin. Grâce à cela, je n’ avais plus qu’ à lire toutes les trouvailles de la machine sans faire le tri dans les articles de presse et de revues. De plusieurs dizaine d’ heures, je ne me consacrais plus à ce projet qu’ une à deux heures maximum par jour.

J’ ai pu reconquérir ta mère qui ne concéda à revenir à la maison qu’ après que le logiciel-fouineur soit mis en place. Un équilibre entre le travail, la famille et le projet était enfin rétabli. »

Quentin se souvint qu’ il y avait eu des hauts et des bas entre sa mère et lui. Il avait entendu pas mal de disputes à l’ époque. Maintenant, il comprenait mieux leur cause. Avec le recul, ces discussions tendues lui paraissaient n’ être que de simples problèmes de couple parmi tant d’ autres. Quand on est enfant et qu’ on ne comprend rien aux problèmes d’ adultes, on se fait toujours une montagne des soucis des parents et l’ on finit, parfois, par se demander si l’ on en est pas soi-même la cause.

« Plus tard, j’ ai pu commencer à reprendre les calculs de ma tante et y ai vu quelques incohérences que j’ ai rectifié. Pour y voir plus clair et simuler quelques prédictions, j’ ai créé un nouveau domaine, celui des corrélations historiques. Grâce à cela, j’ ai pu y voir plus clair et pu mesurer la validité de l’ équation.

Les années passèrent sans qu’ une formule ne me satisfit. Il y avait toujours une marge d’ erreur, certes infime, mais suffisante pour qu’ il y eut une inexactitude de plusieurs années de projections économiques sur un ou deux siècles.

Et puis, une évidence m’ était apparue. Une équation ne pouvait pas fonctionner à cent pour cent. Il fallait résonner autrement et imaginer la prédiction comme un problème à résoudre. Il fallait créer un algorithme. Une équation est une égalité qui n’ est vérifiée (ou résolue) qu’ en déterminant la ou les valeurs des variables (appelé aussi inconnues), alors qu’ un algorithme est une suite finie d’ opérations ou d’ instructions permettant de résoudre un problème ou d’ obtenir un résultat donné. L’ algorithme permet de résoudre n’ importe quel problème une fois qu’ il est déterminé. Il peut très facilement être traduit en langage de programmation informatique et devenir un programme exécutable. Ainsi, il me suffisait de créer un logiciel permettant de faire des prévisions économiques. Et, dans un avenir proche, faire des prévisions dans le domaine politique, sociétale ou scientifique. Il me permettrait également de vérifier certaines valeurs pour juger plus rapidement de sa fiabilité.

Une fois cet algorithme trouvé, j’ ai de nouveau fait appel à mon ami informaticien pour créer ce logiciel. Et j’ ai eu la satisfaction de le voir à l’ ½uvre, il y a trois mois de cela, bien que, pour l’ instant, il ne soit capable de ne faire qu’ une seule prévision économique. En attendant d’ aller plus loin, mon ami m’ a donné les moyens d’ améliorer le programme afin que je puisse modifier certaines opérations. »

Quentin se souvenait de l’ informaticien. C’ était un type très sympathique qui lui avait appris quelques trucs pour réparer son ordinateur et quels outils télécharger pour améliorer les performances et éviter les virus informatiques. Il avait même jouer avec lui à certains jeux afin de tester les performances. Un bon souvenir.

« A ce jour, je n’ ai pas encore trouvé l’ algorithme parfait. J’ approche du but, mais il me manque quelque chose, peut-être une nouvelle variable ou un nouveau domaine que je n’ ai pas encore imaginé intégrer à l’ ensemble.

Si ce texte est la dernière version que tu liras, j’ espère t’ avoir donné envie de reprendre le flambeau. Si jamais le c½ur ne t’ en dis pas, confie ce projet à quelqu’ un qui s’ aura en faire bon usage.

Ton père qui t’ aime. »

Le lecteur resta un instant sur cette dernière phrase, nostalgique. Il avait perdu son père 8 ans auparavant. En regardant la date de dernière modification du fichier, il découvrit que cette version du texte avait été rédigée quelques semaines avant qu’ il ne disparût, foudroyé par une crise cardiaque. Il n’ avait pourtant jamais eu de réels problèmes de santé avant cette attaque.

Après avoir laissé vagabonder son esprit dans les méandres de sa mémoire peuplée de ses meilleurs moments avec son père, il jeta un ½il sur le dossier « Equation ultime ». Il découvrit une myriade de formules mathématiques. Il en connaissait certaines, mais dû reconnaître être dépassé par l’ ampleur des pages de calculs. Il décida de lire tout cela devant un vrai écran d’ ordinateur et retira le cordon reliant la clef au smartphone après avoir fermé tous les documents ouverts…
 

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