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Et si on pouvait apprendre l'empathie ?

 

 

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Le journaliste activa l’ application « magnéto » avant de placer son téléphone sur la table.

- Nous pouvons commencer l’ entretien si vous le voulez.

Son vis-à-vis opina de la tête en signe d’ acquiescement.

- Bien… Professeur Chenlao, bonjour !
- Bonjour !
- Merci de nous accorder votre temps pour cet entretien exclusif pour le journal interactif « Le surveillant contemporain ».
- C’ est bien normal. Votre journal m’ a toujours soutenue quand vos concurrents prenaient un malin plaisir à me vilipender.
- Vous voulez parler de la période pendant laquelle on vous accusait de torturer des enfants ?
- Entre autre. En tout cas, votre soutien à cette époque m’ a permis de continuer mon combat. Je ne l’ oublierais jamais.

Le journaliste mit quelques secondes pour reprendre le fil de son entretien, surpris par la soudaine lueur humide dans les yeux de la personne en face de lui.

- Professeur Chenlao, les députés vont examiner, demain, la proposition de loi du député du parti Union Pour la République, Monsieur Philippe Ambronc, sur la déchéance de la qualité d’ être humain pour toute personne diagnostiquée comme étant dépourvue de toute empathie.
- En effet, et j’ y suis opposée.
- Pouvez-vous nous rappeler les méthodes de diagnostic des personnes dénuées d’ empathie ?
- Eh bien, les psychologues procèdent à un test d’ empathie chez les enfants âgés d’ au moins 6 ans. Le psychologue, au cours de sa conversation avec l'enfant, simule plusieurs bâillements. Ce réflexe naturel en cas de fatigue, d'ennui ou de détente, a la particularité d'être contagieux chez les sujets exposés. Seul un type d'individu n'est pas atteint par cette contagion: les psychopathes. L'absence totale d'empathie est la principale singularité de cette psychopathologie.
- Et si l’ enfant ne bâille pas…
- Il est certifié psychopathe. Cela dit, vous comprenez bien que pour le certifier à 100%, le praticien simule une dizaine de bâillements avant de donner son verdict.
- Que se passe-t-il si l’ enfant bâille faiblement ou seulement à la fin du test ?
- Il n’ est pas signalé comme psychopathe mais comme individu ayant une faible empathie. Il sera fiché par les services de renseignements et suivi par un psychologue durant sa vie entière afin d’ éviter qu’ il ne bascule dans la violence meurtrière.
- A quel moment ces tests ont été mis en place ?
- Quelques années après les terribles attentats de Paris, le 13 novembre 2015. Ce test faisait partie du dispositif mis en place dans le cadre de la nouvelle loi sur la lutte anti-terroriste et la détection des sujets à risques.

Le journaliste prit quelques notes, ce qui permit au Professeur de faire une courte pause.

- Pouvez-vous nous rappeler ce qui advenait aux enfants diagnostiqués comme étant atteints de psychopathie ?
- Eh bien, il était prévu dans la loi qu’ en raison de la dangerosité pour son entourage, l’ enfant serait séparé de sa famille et placé dans un camp d’ internement où ils étaient coupés de tout contact et suivaient, je dois bien le dire, une éducation de mauvaise qualité, voir totalement absente. Aucun professeur de l’ Education Nationale n’ avait accepté de donner des cours à des enfants qui pouvaient à tout moment les tuer ou les torturer pour le plaisir.
- C’ est à cette époque que vous avez proposé une alternative ?
- Tout à fait. En tant que pédopsychiatre, j’ ai toujours encouragé les parents à apprendre l’ empathie aux enfants. Et je crois qu’ en apprenant l’ empathie aux enfants ne pouvant se mettre à la place de l’ autre ni ressentir leurs émotions, ils deviendront des individus moins asociables.
- Est-ce à ce moment-là que vous avez créé l’ EIEGE?
- Pas à cette époque, mais l’ idée était déjà en germe. Je me suis d’ abord porté volontaire pour donner des cours aux enfants internés. En complément de chaque cours que ce soit de mathématiques, de lecture, d’ écriture ou d’ histoire, je donnais une leçon d’ empathie.
- Avez-vous un exemple ?

Le Professeur réfléchit un instant. Elle se souvenait que c’ était à cause d’ un exemple mal choisi qu’ elle avait été la victime d’ une tempête médiatique.

- Eh bien, il m’ est arrivé une fois d’ assister à une scène affectueuse entre deux enfants. L’ un avait donné un bisou à un autre enfant. Ce dernier semblait hébêté, ne comprend pas pourquoi l’ autre avait cela, d’ autant plus que cela ne lui avait pas fait de mal, et je crois qu’ il ne comprenait pas non plus ce que cela signifiait. J’ ai arrêté mon cours d’ histoire pour féliciter l’ enfant et je lui ai également donné un bisou. En lui expliquant que cela donnait du plaisir à l’ autre. Plus tard, j’ ai compris que l’ enfant avait reproduit une scène d’ un dessin animé que j’ avais projeté pendant une récréation que j’ avais organisé afin qu’ ils ne se fassent pas violence durant une vraie récréation. C’ est avec ce genre d’ événement rare que j’ ai compris que mon intuition était réalisable.
- C’ est une très belle anecdote, reconnut le journaliste en prenant des notes.
- Merci. Les enfants ont la capacité d’ apprendre toute sorte de chose, y compris ce qu’ ils ne peuvent acquérir naturellement. Mon travail au sein de l’ EIEGE me l’ a montré maintes et maintes fois.
- Vous n’ avez pas seulement assisté, je suppose, qu’ à des actes affectueux. Que faisiez-vous si un enfant avait fait du mal à un autre ?

L’ interviewée craignait qu’ une question ne vienne aborder ce sujet. Le journaliste ne faisait que son travail, elle ne pouvait pas le lui en vouloir.

- Eh bien… Voyez-vous, il faut savoir que la définition de l’ empathie est la faculté intuitive de se mettre à la place d’ autrui et de percevoir ce qu’ il ressent. Sur ce dernier point, les enfants sans empathie ne savent pas et ne peuvent pas ressentir les émotions d’ autrui. Cela comprend le plaisir, la joie… mais aussi la douleur. Ainsi, lorsqu’ un enfant mord un autre enfant, il ne comprend pas pourquoi l’ autre hurle et cri de douleur, et si l’ on ne fait rien, il risque d’ y trouver un certain plaisir.

- Quelle est donc votre méthode pour faire prendre conscience à l’ enfant-agresseur de la douleur qu’ il inflige à l’ enfant-victime ?

La scientifique respira lentement durant trois respirations-inspirations avant de répondre.

- Je vais vous raconter ce que j’ ai fait la première fois que j’ ai vu un enfant mordre un camarade de jeu durant une récréation. Un enfant s’ était blotti contre le dos d’ un autre. Un moment donné, l’ enfant qui s’ était blotti mordit le dos de son camarade. L’ enfant mordu hurla de douleur sans que l’ agresseur ne cessa son action. J’ ai dû séparer les deux enfants et je mordis le doigt de l’ agresseur. Ce dernier pleura de douleur. Après quoi, j’ ai expliqué à l’ enfant que ce qu’ il venait de ressentir était exactement ce qu’ avait ressenti son petit camarade lorsqu’ il le mordait.

Le journaliste réfléchit un instant.

- En résumé, on peut dire que, par cette méthode, vous avez appris à l’ enfant à ressentir la douleur de l’ autre à défaut qu’ il le ressente lui-même.
- Effectivement.
- Ne trouvez-vous pas le procédé un peu trop violent ?

L’ interrogée s’ était bien préparée à répondre à cette question, autrefois répétée à l’ infini lors du scandale.

- Vous savez, la technique de récompense-punition des bons ou mauvais comportements ne suffisent pas pour les enfants sans empathie. Pour qu’ ils comprennent bien le ressenti de l’ autre, surtout ceux entraînés par leurs propres actions, ils doivent réellement sentir ce qu’ éprouvent l’ autre. Pour ressentir la douleur que l’ autre a subi, il faut qu’ elle soit concrète. Mais pour que l’ enfant puisse comprendre, il faut une explication, un accompagnement pédagogique afin de l’ aider à se mettre à la place de l’ autre.
- Si je comprends bien, cette démarche fonctionne aussi bien pour la douleur que pour l’ amour, qui correspond au premier exemple que vous nous avez donné.
- Tout à fait.

Le journaliste ratura une ligne de son carnet.

- Combien de temps avez-vous travaillé en tant que professeur dans ce camp d’ internement ?
- 5 ans avant de pouvoir créer un centre d’ étude pour ces enfants sans empathie.
- L’ EIEGE ?
- Oui, l’ Ecole d’ Instruction Elementaire et de Gestion des Emotions.
- Comment cette école a-t-elle été créée ?
- Grâce à l’ amendement sur la loi sur la lutte anti-terroriste et la détection des sujets à risques permettant de remplacer le placement automatique d’ un enfant sans empathie en centre d’ internement par la possibilité de proposer un placement dans des centres éducatifs spécialisés.
- Je crois me souvenir que l’ initiative venait du Ministre de la Justice de l’ époque…
- Oui, l’ EIEGE n’ a pu être créé que grâce à Monsieur Tim Siavylnits.

Le meneur de l’ entretien prit des notes.

- Qu’ apprend-on dans cette école ?
- Les enfants apprennent à lire, écrire, compter ainsi que toutes les autres matières que l’ on apprend dans une école classique. A ceci près, qu’ une nouvelle matière est rajoutée dans le cursus scolaire: l’ empathie et la gestion des émotions.
- Excusez-moi, mais il me semble que cela fait deux matières.
- Ces deux thèmes sont étroitement liés. On ne peut pas deviner l’ émotion de l’ autre, et donc la ressentir, si on ne peut pas soi-même ressentir cette émotion. Et à contrario, on ne peut pas gérer convenablement ses émotions, ni les nommer, si on n’ est pas capable de les repérer et de les ressentir chez autrui.

L’ intervieweur griffonna des annotations, visiblement intéressé.

- Pouvez-vous nous donner un exemple de cours d’ empathie ?
- Eh bien, sans rentrer dans les détails, nous permettons aux enfants de mieux comprendre comment les actes des uns peuvent affecter les autres d’ un point de vue émotionnel. Nous séparons le cours d’ empathie en deux thèmes: les émotions positives et leurs actions, et les émotions négatives et leurs actions. Dans le premier thème, nous montrons des images de personnages affectueux, des gestes positifs à effectuer, nous les encourageons lorsqu’ ils font spontanément preuves de gentillesse, nous leur apprenons également à reconnaître les signes physiques chez l’ autre permettant de reconnaître ces émotions, etc. Tout ceci permet peu à peu aux enfants d’ inculquer le principe de compassion et d’ empathie.
- Ce que vous appelez le premier thème correspond aux émotions positives et leurs actions ?
- Tout à fait. Concernant le deuxième thème, nous reprenons les mêmes méthodes, mis à part que nous dévalorisons les actions négatives et faisons en sorte qu’ ils les associent à quelque chose de désagréable. Nous montrons, par exemple, des scènes que l’ on peut considérer comme violentes que l’ on peut voir dans certains dessins animés de Tex Avery par exemple. Durant le visionnage de ces scènes, nous leur demandons de rester debout et faisons émettre un bruit très aigu et légèrement strident à chaque fois qu’ une scène de méchanceté apparaît à l’ écran. L’ intensité de ce bruit est proportionnelle à la nature et à l’ intensité de la méchanceté. Si un personnage se moque d’ un autre, le son est faible et bref. Si un personnage frappe un autre, le son est plus fort et prolongé. Pour faire une petite parenthèse, durant le visionnage des scènes affectueuses, les enfants peuvent s’ asseoir, s’ allonger, bénéficier d’ une couverture, de leur doudou, tout ce qui permettra plus tard d’ associer ces scènes positives à un sentiment de protection et de bien-être. Bien sûr, nous leur apprenons à reconnaître les gestes négatifs tout en les dévalorisant et nous encourageons également les enfants à se moquer des personnages dans les vidéos que nous montrons qui font de mauvaises actions. Et tout comme le premier thème, nous leur apprenons à reconnaître les émotions négatives comme la peur, la tristesse ou la douleur chez autrui ainsi qu’ à essayer de le comprendre afin de l’ aider.
- Que se passe-t-il si un enfant frappe un de ses camarades ? Est-ce que les autres enfants se moquent de l’ enfant-agresseur ?
- Cela arrive fréquemment, en effet. Durant les premiers mois de scolarisation, l’ agresseur ne prend pas au sérieux les moqueries de ses camarades. Mais au bout d’ un certain temps, l’ ensemble du processus pédagogique permet à l’ enfant de ressentir de la honte dans ces instants-là, signe d’ un début de sociabilité. Il finit par comprendre qu’ il a intérêt à ne plus faire de mal à ses camarades.
- Impressionnant, lâcha le journaliste.

Il consigna quelques mots.

- Cependant, n’ existe-t-il pas un risque que l’ enfant-agresseur soit humilié par ces moqueries et finisse par en vouloir à la société ?
- Il y a, en effet, un débat au sein de l’ EIEGE qui n’ est pas terminé d’ ailleurs, sur le dénigrement des mauvaises actions. Pour ma part, j’ y suis favorable. Depuis 10 ans qu’ existe notre école, il n’ y a pas eu de comportements revanchard au sein de nos élèves.

Le journaliste ratura une ligne.

- Vous le dites, à juste titre, que l’ EIEGE a été créé il y a 10 ans. Quel bilan en tirez-vous ?

Le professeur Chenlao se remémora la décennie passée avec nostalgie.

- Lorsque j’ ai commencé à donner des cours aux enfants sans empathie au centre d’ internement, je n’ aurais jamais imaginé monter un tel projet aussi vite. Nous accueillons aujourd’ hui près de 200 enfants et une dizaine de nos élèves sont aujourd’ hui en apprentissage dans un centre de formation des apprentis, une structure éducative classique. Ces dizaines de futures adultes peuvent désormais avoir une vie sociale. Ils représentent pour nous, professeurs et acteurs de l’ apprentissage de l’ empathie au sein de l’ EIEGE, la réussite de l’ alternative à l’ internement et à l’ exclusion des enfants sans empathie.
- C’ est effectivement une réussite de ce point de vue, mais n’ est-ce pas également un échec de n’ accueillir que deux cents enfants lorsque l’ on sait qu’ un 1% de la population est atteinte de psychopathie ?
- Je comprends ce que vous voulez dire, dit-elle après quelques secondes de réflexions. Mais, ce serait un véritable échec si nous étions le seul centre d’ éducation spécialisée dans ce domaine. D’ autres structures ont ouvert leurs portes ces dernières années, et d’ après les sources ministérielles, plus d’ un enfant sur deux qui a été détecté comme enfant sans empathie a été placé dans un de ces centres. Les autres enfants qui n’ ont pas eu cette chance étaient soit trop dangereux, soit avaient déjà fait une tentative de meurtre ou bien avaient, malheureusement, déjà commis un meurtre avant qu’ ils ne soient détectés. Mais il m’ est arrivé de recueillir un de ces enfants au sein de notre centre et d’ avoir également donner des cours aux différents centres d’ internement à certains de ces enfants afin de leur donner une seconde chance.
- Avez-vous eu des échecs ?

L’ enthousiasme du Professeur s’ était soudainement estompé.

- Malheureusement, oui. Certains enfants n’ ont pas pu être sauvés de leurs démons intérieurs. L’ un des professeurs de l’ EIEGE a été sauvagement agressé par deux enfants alors qu’ il leur donnait des cours au camp d’ internement de Marseille. Par chance, l’ un des gardiens est intervenu à temps. Et j’ ai appris avec joie, il y a trois jours, qu’ il était sorti du coma. Mes pensées vont à lui et sa famille.
- Pourtant, ses proches portent plainte contre vous et le centre d’ internement…
- Et c’ est tout à fait normal et humain. J’ aurais sans doute fait de même à leur place si je ne faisais pas partie du projet. Mais ce tragique accident renforce, une fois de plus, ma conviction qu’ un internement ne peut qu’ aggraver leurs troubles. C’ est pourquoi j’ ai décidé de ne plus dépêcher de professeur de l’ EIEGE au sein des camps d’ internement, tant que les pouvoirs publics ne donnent pas plus de moyens pédagogiques au sein de ces structures.
- C’ est pour cette raison que vous êtes entrée en politique ?
- Entre autre. Je sais que l’ apprentissage de l’ empathie est en danger. Si je veux aller plus loin et continuer à défendre cette discipline, je me devais de mener mon combat dans la sphère politique. C’ est une seconde vie que je mène depuis 2 ans.
- Votre entrée en tant que secrétaire d’ Etat chargée de l’ éducation des jeunes sans empathie avait fait grand bruit à l’ époque.

Elle se rappela les quolibets de l’ opposition et de certains médias. Une rumeur disait même qu’ elle était la maîtresse du Ministre de l’ Education de l’ époque dont son département était rattaché. Cette rumeur était crédibilisée par le fait que le Ministre de l’ Education n’ était autre que Tim Siavylnits qui était devenu son mentor en politique. Cette période avait été d’ autant plus difficile que les calomnies sur les supposés torturent des enfants psychopathes à l’ EIEGE avaient refait surface.

- Vous comprendrez, commença-t-elle, que je n’ aime pas parler de cette période qui m’ a montré, de manière abrupte, la violence de la vie politique. Ce que je peux dire, en revanche, c’ est que ces un an et demi en tant que Secrétaire d’ Etat m’ ont permis de développer une nouvelle matière dans les écoles de France. Depuis 3-4 ans, je me suis aperçu que les cours que nous proposions aux élèves sans empathie pouvaient fonctionner avec d’ autres enfants à faible empathie. Les premières années après la création de l’ EIEGE, nous n’ accueillons que des enfants psychopathes, puis nous avons recueillis des enfants sociopathes qui, grâce aux cours sur la gestion des émotions, ont appris à ressentir leurs émotions et à contrôler leur impulsivité. Nous avons également accueilli des narcissiques, dont des pervers-narcissiques, qui ont également bien évolués avec ces cours. Enfin, nous commencions à accueillir des enfants à faible empathie dont les résultats ont été les plus spectaculaires. Leur niveau d’ empathie, après de nouveaux tests de bâillements, avait atteint un niveau normal en moins d’ un an. C’ est à ce moment précis que j’ ai compris l’ intérêt de cette discipline. Elle pouvait être bénéfique pour tous les enfants, qu’ ils soient avec ou sans empathie.
- Cela explique pourquoi vous avez proposé une série de mesure rajoutant au programme scolaire une nouvelle matière: Gestion des émotions.
- Exactement. Et je suis heureuse aujourd’ hui de constater que le nouveau gouvernement, dont les membres étaient des adversaires farouches au projet lorsqu’ ils faisaient parti de l’ opposition, a mis en œuvre ce que j’ avais préparé depuis plusieurs mois.

Le journaliste ratura une nouvelle ligne de son carnet.

- Lors d’ une interview que vous avez accordé au magazine « Psy mag », vous avez annoncé votre projet de créer une université de l’ empathie et de la gestion des émotions.
- En effet, c’ est mon prochain défi. Après avoir réussi à intégrer la gestion des émotions dans le cursus scolaire primaire et avoir entamé son insertion dans le secondaire lorsque j’ étais Secrétaire d’ Etat, j’ estime qu’ il est temps d’ aller plus loin. Si la prochaine réforme de l’ enseignement supérieur va dans ce sens, je pourrais envisager de créer une université intégrant la gestion des émotions dans le cursus des diplômés du DES et du DESC pour les futurs psychiatres et pédopsychiatres.
- Je rappelle à nos auditeurs que vous avez enseigné et enseignez d’ ailleurs toujours aux étudiants en psychiatrie et pédopsychiatrie.
- C’ est exact.
- Pour revenir à la création de votre université, si l’ on en croit certaines rumeurs, vous appelleriez cette structure: l’ université Julie Chenlao.

Le Professeur éclata de rire.

- Merci, cela flatte mon ego, mais je n’ aime pas le culte de la personnalité. Je préférais l’ appeler: Centre d’ Etude Supérieure et de Gestion des Emotions, soit le CESGE.
- Vous aimez bien les acronymes.
- C’ est vrai.

Le reporter fit le bilan de ses questions. Il arrivait au bout de son interview.

- Lors des dernières questions au gouvernement, un député centriste a proposé de créer un nouveau diplôme supérieur sur la gestion des émotions, et selon certaines rumeurs, le Premier Ministre vous aurait proposé un poste de Secrétaire d’ Etat chargé de l’ enseignement de la gestion des émotions afin de créer deux nouvelles matières d’ Etudes Supérieures dont l’ une ferait partie du programme des futurs psychologues et l’ autre ferait partie du programme des futurs enseignants.

Elle émit un rire fermé.

- Comme vous l’ avez dit, ce n’ est qu’ une rumeur. Mais je reconnais que ce serait une bonne idée. Bien que l’ on considère que je fais parti de l’ opposition étant donné que j’ ai travaillé dans le précédent gouvernement, je reste une scientifique avant tout. Je suis quelqu’ un de pragmatique et j’ aurais accepté une telle proposition venant d’ un gouvernement d’ une autre couleur politique. Et j’ ajoute que la proposition du député centriste n’ est pas dénuée d’ intérêt.

L’ ancienne Secrétaire d’ Etat se demandait à quel moment allait-il aborder la dernière proposition de loi.

- Pouvez-vous nous expliquer les raisons de votre opposition à la loi Ambronc, sur la déchéance de la qualité d’ être humain pour toute personne diagnostiquée sans empathie ?

Tout vient à point à qui sait attendre, pensa-t-elle.

- Nous savons qu’ à travers cette loi, il sera possible de détourner la loi sur la lutte anti-terroriste et la détection des sujets à risque qui propose une alternative à l’ internement des individus sans empathie. Si les sujets reconnus sans empathie ne sont plus considérés comme des êtres humains, aucun droit ne peut leur être accordé. Ainsi, on n’ aura plus besoin de les éduquer étant donné qu’ ils ne sont pas humains, ni même des animaux étant donné qu’ ils sont reconnus dans la Constitution française comme des êtres vivants doués de sensibilités, ce qui ne sera pas le cas des individus sans empathie.
- Vous voulez dire que le placement des enfants sans empathie dans des centres éducatifs spécialisés sera obsolète après le passage de cette loi ?
- Absolument.
- Votre école risque donc de fermer ses portes.
- Pas forcément. Les enfants visés sont des enfants sans empathie et comme je vous l’ ai précisé toute à l’ heure, nous accueillons de plus en plus d’ enfants à faible empathie. La seule chose qui risque d’ arriver, c’ est que seuls les enfants sans empathie n’ auront pas la possibilité d’ avoir une seconde chance de s’ insérer dans la société. Pour eux, le seul chemin qui les attendra, sera l’ internement qui, je le répète, ne fait qu’ aggraver les symptômes. Tout jeune sujet, même sain d’ esprit, qui grandit dans un environnement clos, coupé de relations avec autrui, dénature leur perception du monde extérieur. Ce genre de comportement a déjà été rapporté chez certains animaux élevés en vase clos.
- Si j’ ai bien compris, les conséquences de l’ application de cette loi serait la fin de l’ alternative des centres éducatifs spécialisés pour les enfants sans empathie, l’ internement automatique pour ces enfants et, ce de fait, une aggravation de leur état mental.
- Vous avez bien résumé ma pensée. J’ ajoute que ces enfants seront définitivement considérés comme des armes dangereuses, et je vois deux risques pointer le bout de leur nez. Le rétablissement de la peine de mort pour les individus sans empathie étant donné que la loi pour les humains ne s’ appliquent pas à eux. On pourrait même imaginer les condamner dès leur plus jeune âge, quelques temps après la détection afin de désengorger les centres d’ internement. Et je vous laisse deviner ce que peuvent penser les opposants de la première heure à l’ abolition de la peine de mort en voyant cette brèche ouverte. Ils essayeront de rétablir peu à peu la peine capitale, de manière détournée, en classant dans la catégorie individu sans empathie des personnes responsables de crimes mais qui n’ auraient en réalité qu’ une faible empathie. Ils pourront même, par la suite, faire passer une nouvelle loi rétablissant la peine de mort pour les individus à faible empathie ayant commis un crime et, en allant plus loin, les condamner à mort dès la détection de leur faible empathie afin de limiter les risques de crimes et délits par ces individus. La simple suspicion serait suffisante pour amener à une condamnation.
- Et le second risque ?
- Le second risque serait de proposer à ces jeunes condamnés une alternative, celles d’ entrer au sein du corps de l’ armée ou des services secrets. Ainsi, certains gouvernements peu scrupuleux sur le plan moral pourraient les utiliser comme on le ferait avec n’ importe quelle arme au service de l’ intérêt national.
- Je pense que nos auditeurs ont bien compris les raisons de votre opposition à cette loi. L’ entretien touche à sa fin. Professeur Chenlao, encore merci pour votre disponibilité.
- De rien, j’ ai été heureuse d’ avoir pu exprimer mon point de vue sur cette loi.

Le journaliste saisit son smartphone et arrêta l’ enregistrement.
 

 

  
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