Equilibrium

Film de Kurt Wimmer. Etats-Unis, 2003. © Miramar film

DIRECTION DE FUTUR:

Equilibrium décrit un monde fasciste où les émotions sont devenus illégales. Après une troisième guerre mondiale au début du 21è siècle, l'humanité a frôlé la destruction totale. Pour éviter une quatrième guerre, il a été décidé d'éliminer ce qui a été identifié comme la cause première de la violence: les émotions et l'intensité des sentiments, source de la joie et de l'amour, mais aussi de la colère et la haine.

Chaque jour, les habitants de "Libria" doivent s'injecter une drogue, le "Prozium", qui neutralise les émotions. Tout ce qui peut favoriser ou susciter les émotions est interdit: les oeuvres d'art, la musique qui parle à l'âme, la poésie, la littérature, mais aussi les objets familiers anciens, comme des vieux fauteuils, une lampe à la lumière tamisée créant une ambiance propice aux émotions, ou même des objets anodins comme un vieux flacon de parfum aux formes art-déco. Dans les bureaux et les appartements, la seule décoration autorisée se caractérise par un design froid, déshumanisé, sans couleurs (semblable à celui que l'on trouve déjà dans les bureaux des entreprises ou des administrations officielles). De même, les vitres des fenêtres sont recouvertes d'un film opaque pour empêcher d'être ému par la beauté du ciel ou la lumière d'un lever de soleil.

Mais une minorité refuse de se soumettre à cet ordre totalitaire. Appelés les "transgresseurs", ils ne s'injectent pas la dose de Prozium obligatoire, et accumulent les objets interdits dans des caves ou des pièces dissimulées par des fausses cloisons. Ils se regroupent et s'organisent en réseaux de résistance qui s'attaquent aux usines de Prozium. Ils sont aussi pourchassés et exterminés par la Police dont les brigades cagoulées et lourdement armées perquisitionnent les appartements à la recherche d'objets interdits.

Bien entendu, ce qui est interdit au citoyen ordinaire est autorisé pour l'élite dirigeante, dont les palais sont ornés de tableaux anciens interdits.
 

 

Propagande officielle dans le monde de "Libria"

"Dans les premières années du 20è siècle, une troisième guerre mondiale éclata. Ceux d'entre-nous qui avaient survécu savaient que l'humanité ne survivrai jamais à une quatrième guerre, que nos propres natures versatiles ne devaient tout simplement plus courir un tel danger. C'est pourquoi nous avons créé une nouvelle arme de la Loi, le "Grammaton cleric", ayant pour tâche de rechercher et de supprimer la vraie source de l'inhumanité de l'homme pour l'homme: sa capacité à éprouver des émotions."

(...)

Enfin la paix règne dans le coeur de l'homme. Enfin la guerre est un mot dont le sens s'estompe.

Le coeur de l'homme souffre d'un mal.
Son symptôme est la haine.
Son symptôme est la colère.
Son symptôme est la fureur.
Son symptôme est la guerre.
Ce mal est l'émotion humaine.

Mais il est un remède à ce mal.
Il a fallu se priver des émotions euphoriques pour supprimer les dépressions catastrophiques. Et notre grande société a adopté ce remède: le Prozium. Nous sommes désormais en paix avec nous-mêmes, et l'humanité ne fait qu'un. La guerre a disparu. La haine n'est qu'un souvenir. Notre conscience nous appartient. Cette conscience nous pousse à classer « EC-10 » tout objet émotionnel, toutes ces choses qui pourraient à nouveau nous émouvoir.

Aujourd'hui, Librians, vous avez gagné. Contre toute attente, et contre votre propre nature, vous avez survécu."
 

Idéologie officielle dans le monde de "Libria"

"Le Prozium, formidable élixir soporifique de nos masses, ciment de notre grande société, baume salvateur, il nous a libéré du pathos, du chagrin, des abîmes de la mélancolie et de la haine. Il a anesthésié la douleur et supprimé la jalousie, effacé la fureur. Les impulsions de la joie, de l'amour et de l'allégresse sont anesthésiées dans la foulée, hormis le sacrifice de soi. Car nous épousons le Prozium dans sa plénitude unificatrice et en tant qu'artisan de notre grandeur."

 

Idéologie officielle

"Les créatures intrinsèquement humaines sont toujours attirées par une chose: la guerre. Nous ne voulons pas éliminer le symptôme mais le mal lui-même. Il faut se débarrasser de l'individualité et la remplacer par la conformité, la remplacer par la similitude, par l'unité, afin que chaque homme, femme et enfant de cette grande société mènent des vies identiques."

 

Dialogue entre l'agent John Preston et Mary O'Brian,
une jeune femme arrêtée pour transgression et possession d'objets interdits

Mary: - Pourquoi vivez-vous?

Preston: - Je vis pour assurer la continuité de cette grande société. Pour Libria.

Mary: - C'est circulaire. Vous existez pour continuer d'exister. Quel intérêt?

Preston: - Et l'intérêt de votre vie?

Mary: - Les émotions. Vous ignorez de quoi je parle. Vous ne l'avez jamais connu. Mais elles sont aussi vitales que la respiration.
Et sans elles, la respiration n'est que le tic-tac d'une horloge.

 

On ne peut s'empêcher de mettre en parallèle "Equilibrium" avec les directions prises actuellement par le monde réel. Notre société tend déjà à uniformiser les consciences et niveler les individualités. Le type de décoration dominante dans les entreprises ou les administrations est déjà déshumanisée et anti-émotionelle. La mode tend également à encourager un design froid et métallique dans les appartements et les maisons. De même, des moyens policiers disproportionnés sont utilisés pour interdire certaines substances dont l'effet principal est d'amplifier les émotions. Enfin, depuis 10 ans aux Etats-Unis et plus récemment en Europe, des commandos de policiers à l'armement et aux méthodes d'intervention militaires sont utilisées pour des arrestations de plus en plus ordinaires.

"Equilibrium" a été injustement éclipsé par "Matrix" auquel il a été assimilé à cause des scènes de combat "manga" et de certains costumes façon "Neo". Mais la comparaison s'arrête là. En réalité, "Equilibrium" est un film visionnaire qui réussit une synthèse du meilleur de la SF sur le thème des nouveaux totalitarismes dont nous nous rapprochons chaque jour un peu plus.

On retrouve ainsi dans "Equilibrium" des éléments du "Meilleur des Mondes" d'Huxley (une société qui a échangé les émotions et le grand art pour la paix et l'ordre social), "Farenheit 451" (où les livres sont interdit et détruits par le feu), "Metropolis" (les foules de zombies et l'architecture écrasante), THX1138 (interdiction de l'amour entre humains), et "1984" d'Orwell (idéologie totalitaire, interdiction de l'amour, et omniprésence de la propagande sur écrans géants).

"Equilibrium" est un film puissant et bouleversant car c'est aussi l'histoire d'une rédemption, avec l'éveil aux émotions et à la vie d'un défenseur de l'ordre qui choisit de devenir un "transgresseur"...

Equilibrium désigne aussi de façon voilée l'origine et l'idéologie "d'efficacité" qui sous-tend ce futur régime totalitaire. Comme le sujet est "sensible" et que le réalisateur s'est lui-même limité à l'allusion, voici juste un indice: le signe T qui symbolise le Tetragrammaton (le gouvernement central) est un aussi appelé "Tau", un symbole ancien utilisé par certaines organisations.


 


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